Chapitre 18 - Lyllea 👤

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Je pousse un énième soupir en essuyant les larmes d'elles-mêmes qui coulent sur mes joues. Je renifle en prenant un mouchoir pour me moucher et regarde l'encre noire qui bave en raison de mes larmes.

Ça me fait du bien de tout exprimer sur le papier, c'est comme libérateur, mais ça me fait également paniquer de me replonger dans ces mauvais souvenirs qui m'ont détruits. Ce sont quatre ans et demi de malheur qui m'ont blessé au plus profond de mon âme et de mon corps.

Je me cache derrière des vêtements pour que personne ne voie mon corps utilisé. Pour moi, c'est comme si chaque personne que je croisais pouvait ressentir le nombre d'hommes qui sont passés sur mon corps en le regardant.

Je récupère mon stylo et me remets à griffonner plusieurs souvenirs qui me reviennent à l'esprit. J'ai tant à écrire, tant de malheur à extérioriser. C'est malheureux que je me souvienne d'autant de mauvais souvenirs sans pour autant me rappeler de ma libération. J'espère qu'en avançant dans le temps, dans le récit de mes cauchemars, je me rappellerai de tout.

"Je me souviens de cette première fois où il m'a expliqué comment ça se passerait : il s'est posé face à moi avec son regard mauvais et m'a dit sans détour que j'étais l'objet de ses désirs les plus sombres, que je devais les réaliser et que tout se passerait bien pour moi. Il voulait que j'y prenne du plaisir, mais je ne sais même pas ce qu'est le plaisir. Du moins je n'en ai jamais connu en sa présence."

J'essuie de nouveau mes larmes en rongeant l'un de mes ongles. Je ferme les yeux lorsque des souvenirs surgissent dans mon esprit.

"Il me disait qu'il commencerait en douceur. Qu'il voulait que j'y prenne goût et que j'en redemande. Pour lui, ça signifiait me violer avec force sans lubrifiant. Cette première fois a été la plus horrible pour moi, parce que je ne pensais pas qu'il me ferait autant de mal. Il a mal pris le fait que je pleurais au lieu de gémir, alors il a voulu que je la ferme. Il achetait toutes sortes d'objets de BDSM qui m'ont dégoûté des relations intimes en tout genre."

Une larme coule et tombe sur le mot "intime", ce qui me fait grimacer.

"On nous a appris que la première fois avec notre protecteur devait être exceptionnelle. Je ne sais pas si je peux considérer cela comme ma première relation intime, parce que je n'étais pas consentante et parce qu'il n'allait pas à l'endroit qui est censé procurer du plaisir. Si je devais mourir demain, je ne considérerai pas ce premier viol comme une première fois. Je crois que j'aimerais un jour avoir une véritable première fois où je serai consentante et où la personne essaierait de me faire plaisir, mais je ne sais pas si j'en serai capable..."

Je balance la feuille pleine sur mon tas de droite avant de prendre le temps de réfléchir. Phoenix lit les feuilles que j'accepte de lui confier, et il me remercie à chaque fois de cette confiance. Des fois, j'ai juste besoin d'écrire pour moi alors je mets mes feuilles de côté. Est-ce que je devrais lui laisser cette feuille ? Ça se trouve, il me balancerait une nouvelle blague en la lisant. Je décide de la mettre sur l'autre tas au moment où on frappe à la porte.

-C'est moi, retentit la voix de Phoenix.

Je l'invite à entrer et en quelques secondes, il ouvre le drap et me regarde en souriant.

-C'est un four là-dedans, comment tu fais pour ne pas mourir de chaud ?

-Je suis frileuse, et dans le cabanon, il faisait très froid. J'aime bien être ici parce qu'il fait chaud.

Il ricane et me tend de nouvelles feuilles blanches.

-Je t'ai rapporté un stock, c'est normal que tu écrives aussi vite ?

-J'écrivais beaucoup dans mes copies alors je devais écrire très vite.

Je regroupe mes feuilles et les glisse sous mon oreiller avant de tendre le second tas à Phoenix. Il me fait un grand sourire en les saisissant.

-Tu sais, quand je t'ai proposé ça, je ne pensais pas que tu m'en donnerai autant.

-J'espère que tu aimes lire dans ce cas.

-Disons que ce que tu écris n'est pas très joyeux, mais si ça te fait du bien alors ça m'en fait à moi aussi. J'aime que tu essaies de te confier à moi un maximum en me faisant lire ces dizaines de pages.

-J'aurais aimé avoir au moins une page joyeuse pour décrire ce moment où j'ai quitté le cabanon, mais ça ne me revient toujours pas.

-Ne perds pas espoir. Si écrire est ta thérapie alors peut-être que ça ramènera un souvenir heureux dans ces pages si noires.

-Je ne sais pas, j'espère, du moins. Tu ramènes de l'air frais, assieds-toi et ferme le drap.

-À vos ordres.

Il retire ses baskets et entre dans ma cabane. Il se pose sur le lit en abandonnant ses feuilles et me détaille longuement. Il lève finalement la main et j'ai un mouvement de recul en guise de réflexe. Il grimace et baisse légèrement la main.

-Désolé, je ne voulais pas te faire peur. Je ne lèverai jamais la main sur toi, tu n'as pas à avoir peur de moi.

-C'est moi qui m'excuse, c'est devenu un réflexe.

Il hoche la tête et relève la main pour l'amener près de mon visage. Mon cœur bat la chamade et mes joues commencent à rougir. Il pose finalement sa main sur ma joue et essuie mes larmes à l'aide de son pouce. Un frisson me parcourt l'échine en sentant la chaleur de sa peau contre la mienne. Il glisse une mèche de cheveux derrière mon oreille en me détaillant du regard.

D'aussi près, je remarque enfin une nuance incroyable dans ses yeux. Le contour de son œil bleu foncé contraste avec la couleur glacé autour de sa pupille. Je n'avais pas non plus remarqué à quel point sa mâchoire est carrée et contraste avec le mouvement désordonné de ses cheveux blonds.

-Ce serait plus simple si tu n'étais pas aussi belle, murmure-t-il, le regard toujours fixé sur moi.

-Qu'est-ce qui serait plus simple ? Réponds-je en murmurant à mon tour.

-De ne pas avoir une folle envie de t'embrasser, Lyllea.

Mon souffle se coupe et mon corps se crispe. Un léger sourire en coin se dessine sur ses lèvres.

-Mais je ne ferai rien, parce que je veux te protéger de tout, même de moi.

Et sans que je n'aie le temps de me rendre compte de la situation, il est parti de ma chambre avec mes confidences. Je secoue la tête et passe ma main dans mes cheveux en repensant à ce qui vient de se passer. Je suis presque en train de regretter d'avoir laissé la dernière feuille qui est la plus intime et qui révèle ce que je pense actuellement. Je ne sais pas ce que j'attendais de lui, mais j'attendais bel et bien quelque chose à ce moment-là...

Protected by the devilOù les histoires vivent. Découvrez maintenant