1.1
Léon entra dans son bureau en pleine journée. Une dizaine de dossiers s'étalaient en piles confuses sur son plan de travail. Alors qu'il s'approchait de son fauteuil, il tendit machinalement la main vers sa cache de cigarettes. Léon s'était arrêté de fumer des années de cela mais ses membres cherchaient toujours le tabac disparu comme une fourmilière continue d'envoyer ses ouvrières là où la nourriture avait l'habitude d'être.
Léon eut soudain l'impression d'être lui-même une fourmi. Il se vit au milieu d'une procession, semblable à ses congénères, suivant les phéromones, les ordres, en bon soldat. Il se rendit compte qu'il se voyait de l'extérieur comme filmé de trois quarts. Ce n'était plus par ses yeux qu'il se voyait mais ceux de quelqu'un d'autre, de quelque chose d'autre. Il se voyait dans une chambre, si proche, si occupé à travailler, à chercher, à essayer de comprendre. Un bruit attira son attention et il se retourna vers la fenêtre. Léon se vit s'observer et ses yeux s'emplirent d'effroi.
Il voulu crier mais seul un râle rauque, acide, s'échappa de ses lèvres. Sa vision se brouilla. Il cligna des paupières plusieurs fois, tentant de lever cette opalescence qui obstruait sa vue. Tout devint bien plus net lorsqu'il les rouvrit. Il ne vit alors que ses mains et son bureau, les feuilles sous ses doigts en un triste amoncellement de mystères.
Un frisson lui parcourut l'échine. Paniqué, il sentit un poids sur ses épaules mais n'osa pas regarder derrière lui. À la place il se tourna vers l'une des fenêtres. C'était depuis celle-ci qu'il avait eu l'impression de se voir, de s'observer.
Les yeux à sa fenêtre clignèrent et lui sourirent comme autant d'horreurs au-delà de sa compréhension.
Il hurla jusqu'à se réveiller en sueur et terrifié.
1.2
« Comme chaque année à la Toussaint, dans le vent et le froid, le village fleuri de Kœnigsmacker, en Moselle, accueille le festival champêtre du givre et des fleurs. De toute la région, des agriculteurs, des horticulteurs et autres amoureux de la nature viennent animer et profiter de ce moment convivial. Malgré la météo peu clémente, l'ambiance y est chaleureuse ! »
Luc abaissa la caméra.
« Tu es sûr de ton accroche ? C'est une chaîne locale qui nous demande la couverture de l'événement, hein, c'est pas la peine d'en faire des caisses... Luc regarda autour de lui. C'est des vieilles pâquerettes !
-Fais pas ton rabat-joie, s'il te plaît. On a bien assez de mal à trouver des sujets ce mois-ci pour ne pas profiter de cette petite sauterie. Je sais que c'est pas l'idéal et que la couverture ne nous rapportera pas grand chose, mais mieux vaut être cité dans un bled paumé pour un festival que personne ne connaît, plutôt que de ne pas être payé du tout. Et puis, on est pas à l'abri qu'il se passe quelque chose de sympa, pas vrai ?
-Oui, t'as raison. Bon, recommence ton intro, l'audio est pas top avec les enfants qui jouent derrière. Allons plutôt sur le parvis de l'église, tu auras tout le marché dans ton dos. »1.3
Les mots, indistincts, psaumes et chants religieux profanes, résonnaient dans les rues. Ils étaient sortis de l'ombre, sortis des ruelles et des impasses, soutanes et capuches cachant leurs visages. De longs sceptres portant des bougies s'avançaient, droits, pointés vers le ciel, à mesure que leurs pas rythmaient leurs prêches démoniaques. L'armée allait intervenir, les intercepter, les arrêter, coûte que coûte. Il le fallait.
1.5« On n'a jamais vu ça, dit Sara en s'avançant devant les écrans où ses collègues du monde entier l'observaient. On n'a jamais vu ça ! Une horreur pareille, ça ne devrait pas arriver et il est grand temps qu'on se mette au travail. Je vous préviens que le premier qui l'ouvre et me parle de dieu ou de diable, je prends l'avion et je lui en colle une. On est des scientifiques, bon sang.-Professeur Landouse, l'étude préliminaire indique que le code-objet-1 fait six mètres de diamètre. Son rayon d'attraction est d'environ de 2230 mètres.
-C'est stable ?
-Je ne saurais vous dire, Professeur... Les premiers témoignages parlent d'un objet de trois centimètres de diamètre à l'origine, mais cette information n'a pas pu être vérifiée.
-L'objet aurait donc grandi tant que ça en si peu de temps ?
-Sur une heure, oui. Depuis, elle ne bouge plus. L'armée n'a détecté aucune activité à sa surface, mais nous n'avons que peu de retours pour l'instant.
-Envoyez-moi ce colonel qui m'a été présenté ce matin, nous avons besoin de plus de relevés.
-Il est déjà là, Professeur. »1.6
Les couloirs s'enchaînaient avec une épuisante régularité. Taillés, sculptés, déposés par des machines, ils constituaient un vrai labyrinthe. Johan et les deux derniers membres de son escouade couraient en suivant l'architecture complexe de lignes au sein du dédale.
L'algorithmie nécessaire à décoder leur enchevêtrement permettait de trouver le centre, ou encore de le fuir. Le sol se faisait lourd, de plus en plus lourd et leurs pas demandaient de plus en plus d'efforts. D'autres lignes que celles des murs, sur le sol cette fois-ci, rouges et irrégulières, les suivaient à la trace.
1.7
« Bonjour Sergent.
-Bonjour docteur, dit-il en saluant le médecin militaire qui l'attendait dans son bureau.
-Comment vous sentez-vous depuis notre dernier rendez-vous, sergent ?
-Bien, docteur. Je me sens bien, ajouta Malosane en regardant l'homme en blouse blanche droit dans les yeux.
-C'est noté. Qu'en est-il de vos rêves ? Vous avez toujours du mal à vous endormir le soir ?
-Plus aucun rêve étrange. Je dors comme un bébé, docteur, si vous me pardonnez l'expression. Je me sens reposé dès que je me réveille. Plein d'énergie, docteur. »Les cernes épaisses et profondes sous les yeux du soldat démentaient ses paroles, mais son ton avait quelque chose de convaincant. Une assurance que le docteur ne lui connaissait pas. Il avait changé.
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La Sphère
Horror"La Sphère" est une histoire fragmentaire, constitué de 365 scènes qui suivent, tour à tour, l'évolution de différents personnages au travers des événements liés à une entité Lovecraftienne surnommée "La Sphère". Elle aspire et dévore tout sur son p...