95. Les conspirateurs

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Oldric.


La nuit progressa à pas noirs et lents. Une heure céda la place à une autre, et ainsi de suite. Oldric, étendu sur son banc de pierre, contemplait le plafond, rêvait tout éveillé, se souvenait, imaginait, se retournait sous sa fine couverture de drap, l'esprit enfiévré par des songes de feu et de sang.

Finalement, désespérant de trouver le repos, le monomaque se rendit dans la salle privée de Sertès, où il se versa une coupe de vin qu'il but dans le noir. Le goût était doux et apaisant sur sa langue. Aussi alluma-t-il une chandelle et se versa-t-il une deuxième coupe.

Le vin m'aidera à me reposer, se dit-il, mais c'était un mensonge et il le savait.

Il jeta un coup d'œil vers la terrasse, où les ombres de la nuit s'étalaient, épaisses, entre les arbres. Il entendit le doux susurrement de l'eau qui tombait. De la pluie ?

Lorsque l'heure bleue s'installa, la pluie tombait avec une régularité implacable, un torrent dur et glacé transformant peu à peu les rues d'Aetherna en rivières. Sertès pénétra dans sa salle privée, suivi de Pugnax et d'Alexandros. Oldric peinait à comprendre comment un homme de la trempe de Sertès avait pu être convaincu par Alexandros. Pourtant, il semblait être un sbire de Kastor depuis aussi longtemps que Pugnax. La conspiration révélait une ampleur qui échappait encore à sa compréhension.

Ils déjeunèrent dans la froidure qui prélude à l'aube : un repas simple, à base de fruits, de pain et de fromage, arrosé de lait. Lorsque Oldric fit mine de se verser une coupe de vin, Alexandros le retint.
— Pas de vin. Il sera bien temps de boire après.
— Espérons. Il est l'heure.

La bande se mit debout. Pugnax termina son lait et essuya du revers d'une main la moustache que le liquide lui avait dessinée sur la lèvre supérieure.
— Je vais chercher nos tenues d'apparat.

Il revint avec un ballot à l'intérieur duquel se trouvaient trois longues capes encapuchonnées, d'un bleu profond, composées de myriades de petits carrés de tissu cousus ensemble, des sandales cloutées, trois épées courtes, trois heaumes en bronze poli qui ne laissaient dépasser que les yeux, ainsi que des cuirasses du même métal.

Tout le nécessaire pour devenir un légionnaire de la garde impériale.
— Les hommes du Crâne-Ras risquent de demander un mot de passe, les mit en garde Sertès en leur remettant le paquet. Ce sera « chien ».
— Sûr ? demanda Pugnax.
— Assez pour parier une vie dessus.
Oldric ne se méprit pas sur le sens de ces mots.
— La mienne.
— Probablement, sourit l'instructeur.
— Comment avez-vous appris leur mot de passe ?
— Un esclave devrait savoir qu'on ne pose pas de telles questions, barbare. Au sein de l'armée de Kastor, nous avons un dicton : ne demande jamais au boulanger ce qu'il met dans son pain. Mange donc.

Mange donc. Ça ne manquait pas de sagesse, supposa Oldric.

Pénétrer de nuit dans le palais impérial de Kratheus n'était pas une entreprise aisée. Chaque jour au coucher du soleil, on fermait et barrait les portes, et elles restaient closes jusqu'au point du jour. Des gardes étaient postés à chaque entrée, d'autres patrouillaient sur la première terrasse, d'où ils surplombaient toute la rue. Naguère, la garde était assurée par les légions de Kastor. Désormais, d'autres légions s'en chargeaient. Et cela ferait toute la différence, assurait Alexandros Navalnor.

On relevait les gardes au lever du soleil, mais il restait encore une heure avant l'aube quand les trois descendirent par l'escalier de service. Sertès était demeuré à la Grande Ecole. Autour d'eux, les murs étaient bâtis de briques immaculées, mais les ombres les muaient toutes en gris jusqu'à ce que les touchât la lumière de la torche que portait Pugnax. Ils ne rencontrèrent personne au cours de la longue ascension. On n'entendait qu'un son, le frottement de leurs sandales sur le sol usé.

Une Voix dans le ventOù les histoires vivent. Découvrez maintenant