Briquet Noir

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Sa considération était insistante, je déclarerais même intimidant. Son regard paraissait dire « Je suis parfaitement conscient que ça ne te dérange pas. », et je suis là, à l'examiner, silencieuse.

« — Non non, je clope aussi de temps en temps, je suis bête. Et naïve.

— Cool. », sans me proposer de fumer avec lui. Je suis un peu vexée, finalement son œil ne voulait peut-être pas dire tant d'énigmes.

Je fixe mon portable et fais semblant d'avoir des choses à faire dessus. Je sors mon paquet de cigarettes de ma poche gauche. Sa main droite intervient sur les miennes. Je monte les iris, il ne me regarde pas directement, il tire une latte.

« — Fume ça, c'est mieux, en me tendant le spliff que j'accepte.
— J'ai cru que tu n'allais jamais me proposer. » Je me mets à sourire. Et à glousser, nerveusement.

Il se lève et s'en va, calmement. Je l'interpelle, il m'a laissé son joint. Il me fait un signe de la main, je compris que je n'avais pas intérêt à l'arrêter. Tant mieux. Je finis de fumer en regardant les étoiles. Elles sont belles, pourtant elles ne sont pas. Mais cette rencontre venait de me marquer. Ce fut comme un électrochoc, comme un coup de vent dans ma vie. Cela n'a duré que trois minutes au plus, ce fut vivifiant. Je rentre.

« — Alors, ça va mieux ? Elle est sous la couette, devant Netflix.
— Ouais ouais, tranquillement, répondis-je pendant que mon corps rejoint le sien dans le lit.
— Mais attends... tu pues la beuh, t'en as ? »

Une fois mon récit conté, Mélodie me regardait avec amusement, cette nouvelle rencontre l'avait surprise, mais plus encore, elle sentait que cela m'avait fait du bien. Sans égard pour sa naïveté, personne dans la ville n'était une meilleure éponge émotionnelle qu'elle l'était avec moi. Je pouvais la tromper, bien évidemment, lui parler d'une librairie malgré le fait que je n'y étais jamais allée. Mais je ne pouvais pas lui cacher mon état d'esprit. Et parfois, elle m'ouvrait les yeux quand c'était à moi-même que je mentais.

« — Je crois que quelque chose qui est tombé, elle pointait du doigt.
— Qu'est-ce que c'est que cette ordure ? J'attrapais l'objet qui semblait provenir de ma poche, c'était un briquet, il était sinistre. Un briquet noir.
— Ça vient du gars ? Elle exprimait une pointe de jalousie.
— Euh... non, je ne pense pas, il m'a juste fait tourner le joint. », j'observais le briquet avec une attention particulière, tout en veillant à ne pas éveiller les soupçons de ma douceur enflammée.

Ce n'était qu'un allume-cigarette, rien de plus. Certes il appartenait à un spectre en parka verte, mais cela n'en était pas plus qu'un simple briquet. Beaucoup de jeunes filles littéraires auraient imaginé une symbolique, à ma place, beaucoup de gens y auraient trouvé un signe du destin... je n'y voyais rien de plus qu'un euro et cinquante centimes d'économisé. Cependant, je devais bien me l'avouer : toute cette agitation de la part du regard amoureux de Mélodie m'excitait. Me dire qu'elle se sentait de nouveau en compétition me rendait toute chose. Un peu d'animosité ne me ferait pas de mal, avoir la sensation d'être assez importante pour que l'on s'arrache les cheveux à force de faire des plans pour me garder, cela pouvait me plaire. Mais alors que je me délectais de la situation, un doute survint. Et lui, il en supposait quoi ?

Il était au courant pour ma manie de tout remettre en question lorsque le plaisir se ressent. Comme si la dopamine, que je nécessitais, était vue par mon organisme comme un poison qui pouvait me ronger la chair. Et que l'on devait nettoyer au plus vite. Comme si sa dispersion dans ma tuyauterie cérébrale était vue par mon composant logique comme une fuite de gaz qui pourrait tout faire péter. J'ai remarqué cette habitude chez moi au moment de mes premières années universitaires tandis que je venais de me mettre en couple avec une petite brunette en école d'art. Je ne suis pas attirée par le bonheur, j'en suis convaincue. Du moins, pas ce bien-être. Mais ai-je connaissance d'un autre plaisir que celui que l'on m'a présenté depuis que je suis enfant ? Existe-t-il même un autre bonheur que celui que l'on nous inculque ? Non, ceci est de la masturbation intellectuelle, je m'excuse. Le Bonheur est le Bonheur, la seule chose qui diffère entre les individus est le prisme par lequel les Ondes Positives passent. Avec ce point de vue là, j'imagine que je ne suis simplement pas attirée par ma vision du bonheur. Le problème vient toujours de celui qui le voit.

« Tu as le regard d'une femme qui veut savoir quelque chose, elle est perspicace.
— J'étais juste entrain de réfléchir à si j'avais bien rangé ma CB dans mon sac. Que je n'aie pas à la chercher pendant une heure demain avant de partir, je pue le mensonge et la mauvaise foi.
— Si tu n'étais pas lesbienne, je me poserais des questions... » elle est vraiment jalouse, ça a le don de m'exciter malgré mes incertitudes.
« Moi aussi... », je murmure dans la couette.

Elle me contemple d'un air interrogateur. Un autre problème que j'ai avec cette fille est que je suis bien trop vicieuse pour ne pas stresser quand elle me regarde comme ça. En vérité, comme je l'ai déjà expliqué, elle est bien trop naïve pour s'imaginer quoi que ce soit, et même si elle avait un doute, elle l'oublierait dans les heures qui suivraient. Et puis dans tous les cas je n'ai aucune raison de m'inquiéter. Je ne suis pas attirée par les garçons. Je dirais en outre que je n'ai jamais été séduite par un mec, aussi mignon soit-il. Je me remets certes en question au moment où j'écris ces lignes ; « N'étais-je pas justement en proie au doute dès ce moment-là ? » est une interrogation qui m'est passée par l'esprit. Mais ce ne sont que les relents de mon allergie au bonheur et aux choses simples, encore une fois.
En toute honnêteté, ce garçon était bien trop intriguant, que cela soit dans notre rencontre, ou dans l'aura qu'il dégageait.

Odeur de clopeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant