Le droit de voyage

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En rentrant chez moi, je croisai mon père qui s'était réveillé il y a peu, je le rejoignis sur le canapé, il regardait encore un de ces reportages sur la cybercriminalité. Nous avons commencé à discuter, mon père me demandait quel genre de musiques je faisais. C'est vrai que mon père ne s'était jamais vraiment intéressé à mes goûts, et de toute manière, même moi je n'aurais pu deviner que je me retrouverais à faire ce que je fais sur scène. Sachant que des mots lui parleraient peu et que ça laisserait trop de choix à ses interprétations, je décidai de lui montrer une vidéo de mon premier concert qu'un de mes camarades avait filmé. Mon père prit le smartphone dans ses mains, n'en croyant pas ses yeux. Il me demanda si c'était vraiment moi qui faisait tout ça, je lui répondis que oui, il n'arrivait pas à y croire. Un démon cornu en transe entre contrebasse, chant, guitare et table de mixage, une telle technique et une telle polyvalence ne pouvaient aucunement provenir de la Mikaël qu'il connaissait. Subjugué par le talent de sa fille il eut les yeux humides.

« Hey, calme-toi, lui dis-je en l'attrapant dans mes bras. C'est que de la musique.

— Oui, mais c'est ma fille qui fait ça quand même, me répondit-il en me regardant, les yeux rougis. C'est ma fille qui fait ça devant tous ces gens. Regarde comment tu es folle, pleine d'énergie, ça me rend fière. Devant tous ces gars de la haute artistique, ceux qui dirigent Dubstown, tous assis à regarder ma fille. Regarde celui-là, il n'y croit pas, il n'y croit pas devant ma fille. Regarde ! Moi aux collègues je pourrais leur dire ! Regardez tous ! Hein ?

— Papa... soufflais-je en souriant.

— Non, mais c'est vrai ! Ils sont là, ouais ta fille elle écrit, elle fait de la musique, moi le mien il est en école de commerce blablabla, imitait mon père avec une voix nasillarde. Moi je pourrais leur dire, hein, que leur gamin ils bossent pour des patrons qui paient pour voir ma fille faire de la musique ! »

Je serrai mon père dans mes bras, je ne savais quoi dire. J'aimais connaître les avis critiques des artistes sur mon travail, je cherchais souvent à avoir des analyses de mes performances, je n'aimais pas les « j'aime bien » ou les « je n'aime pas ». Cependant, les mots de mon père étaient encore meilleurs que ceux d'un esthète ravi de mes compétences. J'étais la fierté de mon père, dans ses yeux je pouvais voir qu'il ne regrettait plus rien. Je m'attendais à ce qu'il soit repoussé par l'esthétique un peu glauque qu'avait ma performance. Mais il n'en avait que faire, ce qu'il voyait c'était juste sa fille au meilleur d'elle-même, c'était tout ce qui comptait pour lui, la réussite de ses enfants.

Pendant que je le prenais contre moi, je me souvenais de tous ces regards qu'il me lançait lorsque je commençais ma décente au cœur de la débauche. Et si ce que je prenais pour du jugement impérieux n'était en réalité que de l'inquiétude ? Peut-être que si je l'avais pris ainsi, peut-être que si j'avais compris tout ça autrement, alors, peut-être que je n'aurais pas finie aussi mal. Mais avec ces si là, aurais-je eu cette vie-là ?

Quelques heures plus tard, alors que je parlais avec mes camarades sur la conversation de groupe, je fus interrompue par Remy qui vint me parler. Je n'avais vraiment pas envie de l'écouter, il me racontait que la situation entre Belle et moi provoquait quelques tensions dans son couple et qu'il aurait aimé que je m'excuse auprès de ma sœur. J'étais choquée qu'il puisse se permettre de me dire ça. Je lui demandai de sortir de ma chambre en lui disant que j'allais voir ce que je pouvais faire. Peu après, je décidai de sortir faire du skate, ça faisait longtemps. Je pris ma planche et partie tourner dans mon lotissement. En arrivant au parc, je décidai de faire quelques sauts et de faire grincer ma planche sur les rebords des escaliers. Florian apparu dans le parc quelques minutes après mon arrivée, il se promenait. Lorsque je le remarquai, je lui fis de grands signes et ils vinrent me rejoindre.

« Ça faisait longtemps, petit serpent, tu sors d'où comme ça ?

— Figure-toi que je suis en congé, je viens de valider ma deuxième année à la galerie Hirano.

— Tu travailles pour la reine ? Tu es devenue un scribe royal ?

— Non, je suis plutôt du genre ménestrel.

— Mmmh, je veux écouter ça ! »

Pendant que je montrais à Florian la même vidéo que j'ai montrée à mon père, je sentis quelqu'un m'observer, en levant les yeux c'était encore elle. Je demandai à Flo' de m'attendre avant de me lever. Luna et ses cheveux mauves, elle commençait à me taper sur les nerfs. Une fois à sa portée je pus déceler son envie de s'enfuir donc je l'attrapai par le col.

« T'en as pas marre ?

— Ah ! cria Luna. Lâche-moi où je hurle au viol.

— Tu te fous de moi ? rétorquais-je en la lâchant.

— Espèce de psychopathe attrapeur d'enfants.

— Mais bordel ! T'es majeur depuis trois putains de piges !

— Je ne t'ai jamais montré de papiers, répondit Luna en jouant la duchesse hautaine.

— T'en as pas marre ?

— Béhémoth m'a dit que le monsieur là-bas il sait où est sa maman.

— Si on demande à Flo' et qu'il te répond de te casser, t'arrêteras de me suivre ?

— Si on retrouve la maman de Béhémoth, je te laisserais tranquille. »

Je lui fis signe de me suivre et commença à marcher en direction de Florian qui me regardait à la manière de me demander ce que je faisais. Mais lorsque Luna se retrouva face à lui, le gérant du Coin de Page lança un regard étrange, pour la première fois je voyais l'effet d'une aberration sur Florian, on aurait dit une sorte de dragon, un dragon millénaire qui savait déjà tout. Puis il dit à Luna : « Coucou toi, c'est un joli toutou que tu as là. » Avant de sortir un carnet de la poche intérieure de sa veste ainsi qu'un stylo, il l'ouvrit et regarda à nouveau Luna tout en gribouillant. Il écrivit pendant une minute ou deux avant de dire : « Alors, comment tu as rencontré cette jolie créature ? », Florian n'était pas différent des autres, je sentais que ma limite arrivait à grands pas.

Odeur de clopeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant