9 heures du matin, Laureline avait décidé de nous attendre à l'hôtel. Nous allions aller voir le barrage avec Lisa-Marie sur sa moto, un monstre noir chromé, ce qui ne m'étonna pas de mon ex-copine. En seulement deux minutes, nous étions au barrage. La police était toujours là. Lisa pesta et se gara sur le rebord de la route quelques mètres plus loin.
« J'en peux plus ! pesta Lisa.
— On va devoir encore attendre...
— Non, j'en ai marre, monte. »
Une fois sur la moto, Lisa-Marie décolla à pleine vitesse et en un instant nous avions le barrage derrière nous. Je n'eus même pas le temps de me rendre compte de la folie effectuée qu'une des voitures de police démarrait déjà. La route se coupait en trois, la voie du milieu était un pont menant à ce qui semblait être une zone commerciale. Lisa — accéléra et doubla les voitures qui se trouvaient devant nous avec dextérité, mais la vitesse et le danger me crispaient au point que je plantais mes ongles dans les cottes de mon chevalier qui dirigeait sa monture comme si de rien était. Lisa commença à ralentir avant de prendre un virage très serré et de s'engouffrer dans un quartier rempli de gigantesques tours. Elle slalomait entre quelques voitures avant de prendre le trottoir et de rentrer droit dans un parking privé dont la porte était en train de se refermer. Il semblait que nous avions semé nos poursuivants, j'avais la preuve claire et nette que Lisa connaissait Charlatown comme sa poche. Je n'avais d'ailleurs pas encore réalisé que nous étions à Charlatown. Après avoir garé sa moto, Lisa me fit sortir du bâtiment et je vis la ville.
Les Sirènes, quartiers diaboliques, tout semblait terne, la pluie et l'orage menaçait de s'abattre sans s'avancer, comme si le temps de cette ville restait constamment dans la peur du désastre. Je n'avais pas de mots pour exprimer ce que je voyais. Les arbres se tordaient, les fenêtres étaient régulièrement fissurées, les rues étaient sales, la chaleur était grande, on y étouffait, il y avait beaucoup trop de gens, mais aucun sourire, aucun visage qui ne serait menaçant. Je sentis alors une sensation gluante, comme si d'énormes bouches tentaient de sucer tout ce qu'il y avait de sain en moi. Comme si un Faux-Dieu tentaculaire à mille bouches voulait absorber la moindre parcelle de pureté des gens.
« Tu le sens, toi aussi ? Me lança Lisa en me caressant les épaules.
— C'est quoi cette merde, ça me donne envie de gerber !
— Amman, la putride aberration qui se nourrit de la ville.
— Les aberrations ont des noms ?
— Si on leur en donne. Cette aberration est née de la haine des gens pour leurs voisins. Aux Sirènes l'argent, le sexe, la drogue et l'alcool sont les quatre seigneurs. »
Lisa voulait que l'on retrouve Nise, elle voulait des explications et était sûre qu'il saurait nous aider à retrouver Nathanaël pour moi. Elle connaissait la route par cœur et préférait laisser sa moto où elle était. C'était seulement à une dizaine de minutes de marche.
Une fois devant la demeure de Nise je remarquai très vite l'importance de cet homme. Alors que tout semblait sale, l'immeuble dans lequel il vivait était complètement propre et rayonnait par rapport aux autres. L'intérieur avait une odeur de pêche et tout semblait agréable, nous prime l'ascenseur. Il habitait au dernier étage. Une fois arrivées en haut, nous étions face à une seule porte. L'étage entier appartenait à Nise. Lisa frappa à la porte. Une voix d'homme nous cria d'entrer.
J'étais dans un état étrange, j'allais rencontrer l'homme qui pouvait être potentiellement le père de Nathanaël, mais aussi son pire ennemi, et pourtant je n'éprouvais aucun stress, j'étais vidée de toute sensation désagréable. Presque sans émotion.
L'appartement était grand, lumineux, blanc et noir. Lorsque l'on ouvrait la porte, nous avions face à nous une grande salle avec une table basse japonaise entourée de coussins. La baie vitrée de ce salon donnait sur une terrasse avec piscine. Mais il fallait revenir à la table basse, car au bout s'y trouvait Nise. Un homme aux cheveux d'un noir puissant, raides et magnifiques, portant une moustache épaisse avec un bouc, une peau très pâle, mais très belle, un nez pointu. Mais ses yeux. Ses yeux avaient une puissance que je n'avais jamais vue ailleurs. On aurait pu confondre ses iris bleus avec deux flammes de l'enfer ou deux torches du paradis. Il nous lança un sourire. Ses dents étaient celles d'un chasseur, prêtes à déchiqueter. Il était magnifique et tout son être brillait de puissance esthétique. Alors que Hirano était la Force explosive, l'artiste qui marque le cœur sans se faire remarquer, ne rayonnant que lorsqu'elle pratiquait, lui était la Force constante. Il ne brillait pas autant qu'Hirano durant ses représentations, mais il brillait en continu, sans vibration, comme un laser qui chaufferait en permanence mon cœur et mon crane et avec une répartition parfaite. Dans son sourire j'aurais pu penser à une vingtaine d'acteurs, dans ses mouvements une centaine de politiciens, docteurs, professeurs et d'autres professions dont je ne connais même pas le concept. Chaque regard qu'il faisait était copié à quelqu'un. On le sentait. Lorsque l'on était face à lui, on était face à une armée. Le Patron des Copieurs.
Quand il nous a vues, il salua en premier Lisa de manière très sobre et en l'appelant « Madame ». Il fit la même chose que moi, mais fixa mes yeux et me dit : « Je suis ravi de vous rencontrer, Madame Beriault, j'ai lu Métro et j'ai énormément apprécié votre idée. Lorsque j'ai su que vous arriviez, j'ai préparé un petit dossier d'analyse pour vous donner ma vision des choses. ». Je fus perturbée à un point jamais atteint avant. Chaque mouvement de bouche, chaque note, je ne pouvais rien imaginer à l'avance et si la peur n'était pas inhibée par l'ambiance de l'immeuble j'aurais sûrement eu un fou rire nerveux. Mon cerveau n'arrivait pas à croire ce qu'il voyait. J'étais face à une entité qui ne venait pas de notre univers.
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Odeur de clope
General FictionJe n'ai jamais cessé d'être celle que vous attendiez que je sois. C'était ma seule condition pour accepter de me croire exister. Voilà comment se dépeint Mikaël, jeune fille d'un milieu aisé qui rêve d'art et de passion mais délaisse rapidement le c...