Regarde-moi

20 4 2
                                    

 Bruits de tondeuse, mèches qui tombent au sol, sensation du rasoir sur ma nuque. Mon undercut était parfait. Janvier me fit un chignon pour finaliser le tout. Il me conseilla sur le maquillage et la posture à adopter, aidé de Narcisse. Ces deux-là allaient m'aider à devenir la personne que je voulais être. Cependant je me permis de leur poser la question : « Pourquoi on doit travailler mon personnage alors que l'identité de Mi-K est censée rester masquée ?

— Tu l'as entendue ? Lança Janvier à Narcisse, outré.

— Mikaël, Batman n'aurait pas autant marqué les esprits si ce n'était pas Bruce Wayne derrière le masque, enchaîna le couturier aux cheveux verts.

— Okay, mais ça veut dire que je ne suis pas assez moi pour jouer mon personnage ?

— Bien sûr que non, petit chaton, souffla Janvier. Mi-K doit faire partie de ta représentation, pour le moment tu n'es qu'une enfant imitant son idole. Mi-K ne doit pas juste être un masque, Mi-K doit avoir sa propre identité, n'importe qui pourrait mettre un masque et dire qu'il est un Symbole. Mais un symbole de quoi ?

— Le symbole d'un imbécile qui s'amuse derrière une image, enchaîna Narcisse. Ce qui se trouver derrière le masque doit paraître encore plus grand que ce qu'on voit à l'image, on doit avoir la sensation que tu réserves encore tout un univers.

— Je ne dois pas être l'auteur de ma propre histoire ?

— Pas quand tu fais partie de l'histoire. »

Leurs mots étaient clairs et je compris, Mikaël ne devait être Mikaël que lorsqu'elle était chez elle. Mais une fois dehors, Mi-K devait l'être même sans son masque. Ikumi n'était pas la reine seulement lorsqu'elle créait. Pourpre, noire, seule ma chevelure restait naturelle. Look vintage, attitude de bad-boy de drames des années deux-mille, déchirée comme du nylon, toujours au bec, je rallume un pilon. Pourquoi ces choix ? Je voulais rendre hommage à une artiste morte en 2054.

En sortant, je croisai Ugajin, décidant de suivre les conseils de Narcisse et Janvier, je tentai de garder l'attitude prévue devant lui. Mais la pression de son regard me faisait douter, bégayer. Il rit de manière ironique en soufflant : « Tu es ridicule, mais tu as du potentiel. » Avant de rejoindre mes deux costumiers. Il discuta avec eux et je l'attendais devant le salon avant de me rappeler que Mi-K n'attend personne. Je décidai de rejoindre les trois professeurs pour prendre part à la conversation. Une fois face à eux je pus voir le visage gêné de Janvier, le regard admiratif de Narcisse, et l'agacement de Ugajin.

« Barre-toi, Mi-K, personne ne t'a convié, me lança froidement Ugajin.

— Monsieur Dam... Hirano ! s'il vous plaît, demanda Narcisse. Elle tente de jouer so...

— Imbécile, souffla Janvier en mettant sa main sur la bouche du couturier. Le maître est en action.

La situation m'amusa et me relaxa un peu.

— Uga', on est censés aller bosser, donc si tu ne veux pas ça ne me dérange pas, mais à la base j'étais ici aussi.

— Oh mon dieu, pensa Janvier à haute voix. Elle l'a appelé...

— Très bien, Ugajin qui semblait très irrité. Tu veux te comporter en artiste, alors faisons un duel. »

Ugajin sortit une clé et nous emmena dans la salle de concert. Narcisse et Janvier allaient être les juges. J'avais une contrebasse et Ugajin avait la sienne. Nous allions devoir jouer, Ugajin m'a laissé le choix de l'ordre dans lequel nous allions jouer. Il y avait quatre thématiques sur lesquelles jouer, nous pouvions improviser ou jouer des mélodies déjà connues. Le principal était de coller aux thématiques, la première était La Naissance. La seconde était l'Idéal. La troisième était La Mort. La quatrième était Le Pouvoir. Je voyais Ugajin comme un garçon nerveux, puissant, fort, l'idée de lui donner ses deux tours en premier le déstabiliserait certainement et je pourrais en plus réfléchir à ce que je pourrais jouer. Ce duel n'avait rien d'officiel et je ne m'attendais pas à vaincre Ugajin, mais je voulais tout de même mettre toutes les chances de mon côté. J'allais le voir créer pour la première fois. D'autres élèves m'avaient déjà raconté que Ugajin était une créature abominable quand il créait, qu'il mêlait raffinement et folie.

Le plus effrayé du groupe était Janvier, il avouait qu'il avait peur de voir ce que Ugajin était capable de faire, après tout il était le fils prodige de la grande Hirano. Narcisse, lui, continuait de me regarder avec des étoiles dans le regard. Il voyait sa création en pleine action, il était heureux. Mi-K n'était pas l'œuvre d'un seul génie. J'avais reçu la bénédiction de deux maîtres de leurs domaines. Et les mots d'Ikumi resonnaient dans ma tête, Ugajin avait atteint le maximum de son potentiel, pas moi, je pouvais encore me dépasser. De plus, il était moins âgé que moi. J'avais l'expérience, une expérience forgée par les aberrations et par les grands de ce monde.

Après avoir donné l'ordre dans lequel je voulais que l'on joue, je pus voir Ugajin lancer un sourire comme il n'en a jamais fait. Un sourire si effrayant que Janvier poussa un cri.

« Sois fière, Mi-K, je t'offre ta première défaite en tant qu'Artiste. Prends expérience, et comprends que les professeurs ne le sont pas sans raison. Un univers nous sépare. »

Et Ugajin commença à jouer et notre réalité s'effondra, dès la première note. Tout disparu et Narcisse, Janvier et moi fûmes emportés avec lui dans un autre monde, un monde où l'on pourrait comprendre l'étendue de sa puissance. J'étais face à un titan.

Odeur de clopeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant