« Donc il t'a marqué tant que ça ? », elle se met à rire.
Elle me contourna, ses cheveux blancs aux touches mauves, l'ont suivie. Le vent aussi. J'étais comme une larve, comme une larme, solitaire. Il ouvrit la porte comme un esprit frappeur, ses yeux comme arme, solitaire. Lucide, ses cheveux noirs, ses yeux noisette, ses cernes. Il leva sa main, il voulait me check. Deux tapes de main, il s'allongea sur le canapé de cuir noir à côté de nous pendant que Loveless entourait ses bras autour de moi depuis mon dos.
« Moi c'est Lucide, dit-il pour briser la glace. Mais on m'appelle Anna.
— Hmm ?— Et toi ?
— Anna ?!
— Ouais.
— Ce n'est pas commun pour un gars. »Il se mit à sourire, laissant découvrir une mâchoire munie de canines reluisantes. Sur son cou je pouvais distinguer une marque de morsure, on aurait pu penser à un suçon, mais c'était clairement des marques de morsures cicatrisées récemment. Et c'est lorsqu'il posa dans la pièce ces derniers mots que j'ai compris que c'était fini.
« C'est fou comment les choses arrivent d'elles-mêmes quand on les veut vraiment. Loveless me parle d'une fille qui dépeint ma personne dans un roman, je rencontre cette fille par hasard et fini par regrette de ne pas lui avoir parler. Et toi ? Pour quelle raison as-tu forcé le destin à nous retrouver ? »
Il disait n'importe quoi, un charabia incompréhensible qui semblait hautain et angoissant. Ma vision de lui changea complètement et je pense qu'à ce moment-là, j'ai commencé à le détester. Je voyais bien là une technique de garçon qui veut juste prendre la fille sur le canapé. Mais j'étais pathétique. Car il voyait bien l'attitude de la fille qui attend que le garçon la tire vers le canapé. Plus l'on parlait et plus je sentais l'étreinte de Loveless s'effacer et me quitter. Elle était partie rejoindre les autres d'après mes suppositions qui se révéleront fausses. C'était une sorte de pulsion, d'envie malsaine, mais profonde qui grandissait en moi au fur et à mesure que nous nous retrouvions seuls. C'est juste les circonstances, le contexte et sa voix. C'est juste pour ça que lui et pas un autre. Mais non, même s'il y avait tout ça je ne pouvais pas. Parce que même si nous le voulions tous les deux, j'avais Mélodie.
Et il le savait sûrement, tout ça.
Loveless revint, elle a son exemplaire de mon Métro et Anna en profita pour disparaître. Je fis une dédicace, une story Instagram. Elle m'avoua qu'elle s'appelait Laureline. J'avais l'impression de l'entendre à travers un casque, mes pensées résonnaient bien plus fort que sa voix, bien qu'elle soit à côté de mon oreille. Mon crâne résonnait encore au sourire d'Anna.
La soirée continua jusqu'à six heures du matin, Mélodie avait passé un superbe moment et j'étais heureuse de la voir ainsi. Pourtant, à de nombreuses reprises, le regard du brun m'avait envoûté, mais le sort n'eut pas réussi à me faire quitter la zone de confort de mon ange cramoisi. Il avait tout pour m'avoir, il avait tout mon intérêt. Entre le fait que Loveless le trouvait ressemblant au protagoniste de mon roman. Nos différentes rencontres, sa manière énigmatique de parler, son regard inexpressif, ses cernes, c'est après une longue analyse concernant sa personne au fil de la soirée que j'en conclue qu'il était vieux. Physiquement parlant il était dans la fleur de l'âge. Il était en forme, et son visage était tout de suite plus radieux quand il riait avec Kumo ou quand il discutait avec Laureline, mais dès qu'il repartait dans ses pensées son regard redevenait sombre. Comme si un orage se cachait derrière ses pupilles. Et je me dois d'avouer qu'avec du recul, il était très similaire à mon cher Ana que je décris dans Métro.
Mais plus le temps passait, plus je semblais tomber dans son piège. Je me forçais à penser que tout ceci n'était qu'un manège pour m'avoir, qu'il jouait un rôle. Mais ne jouons pas tous un rôle. Je ne nie pas l'avoir haï pour ça au moment des faits, mais pour être clair : il ne jouait rien. Mais ce que je tiens à expliquer est qu'il avait tous les droits de le faire. Nous jouons constamment des rôles et bien que nous possédions tous une liste de caractéristiques que l'on considère comme notre « Moi » — Divine mauvaise-foi sartrienne — personne n'est ce qu'il est à la lettre. Nous sommes ce que les gens voient de nous. Si pour certaines personnes vous êtes dynamiques, rien ne vous empêche de paraître las et silencieux pour d'autres. Au final nous jugeons les gens sur ce qu'ils sont avec nous alors qu'ils ne sont simplement que ce que l'on veut qu'ils soient. Personne n'a l'obligation d'être mélancolique avec tout le monde parce qu'il l'est avec quelqu'un. Il était souriant et jovial avec Kumo, sombre et énigmatique avec moi, mais n'était-ce pas ce que je voulais ? N'aurais-je pas été déçue si je l'avais vu banal ? Comme lui-même me l'avait dit durant la soirée : la seule raison qui fait que les choses arrivent est que nous les avons voulues ou du moins que nous les avons acceptés ; un chasseur accepte que l'ours puisse être bien plus endurant que le loup, même s'il avait aimé qu'il en soit autrement, s'il n'était pas d'accord pour finir les tripes à l'air il n'aurait pas pris le fusil.
C'était ce qu'il se passait, j'étais effrayée par l'attaque de l'ours, mais au lieu de lâcher le fusil et rentrer au camp, je restais là, à fixer la bête me charger. Perdue dans le tourbillon de désir et de répulsions que me provoquait le regard orageux d'Anna. Tourbillon et orage, le fixer dans les yeux était comme percevoir un visage hurlant se dessiner dans les nuages d'un ciel de tempête. Un visage se tordant de douleur.
VOUS LISEZ
Odeur de clope
General FictionJe n'ai jamais cessé d'être celle que vous attendiez que je sois. C'était ma seule condition pour accepter de me croire exister. Voilà comment se dépeint Mikaël, jeune fille d'un milieu aisé qui rêve d'art et de passion mais délaisse rapidement le c...