Odeur de clope

L'Enfant Corbeau

 L'enfant corbeau est né d'une bien étrange manière, car il est né dans le nulle part. Le nulle part était le château du Roi borgne ! Un château sombre dont les couloirs n'étaient parcourus que par des entités étranges, des yeux flottants dans les airs, d'énormes ogres noirs, des loups aux crocs gigantesques, et des sorcières au nez crochu. L'enfant corbeau, moitié nu moitié plume, n'aimait pas sortir de sa chambre, bien trop effrayée par les terribles créatures qui rodaient dans sa demeure. L'enfant corbeau n'avait que sa bibliothèque, son doudou et son livre magique. Lorsqu'il ouvrait son livre magique, l'enfant corbeau pouvait y lire la vie de pleins de gens, chaque aventure était différente, dans des royaumes qu'il ne pouvait que lire. Il était passionné par tout ce que les gens pouvaient vivre.

Très vite, il apprit deux choses, la première était que les gens pouvaient créer des choses incroyables avec leur imagination, la seconde était que lui aussi. Il se mit alors à écrire, à dessiner, à chanter, alors tout le château a crié : « Mon Roi ! Mon Roi ! L'enfant corbeau est devenu Prince ! », le Roi borgne n'y croyait pas, alors il alla voir par lui-même. Une fois en face de son fils il dit : « Soit Euterpe ! » et l'enfant corbeau le fit. Le Roi alors a dit : « Tu ne sais pas, soit Clio ! » et l'enfant corbeau le fit. Le Roi, agacé ordonna : « Tu ne sais pas, soit Uranie ! » et l'enfant corbeau le fit. Le Roi en colère annonça : « Tu ne sais pas, soit Terpsichore ! ». Et l'enfant corbeau bougea ses petites pattes tremblotantes devant le Roi qui, fou de rage, cria : « Tu n'es pas devenu un Prince, tu n'es qu'un volatile ! Tu oses te faire passer pour ce que tu n'es pas devant les serviteurs de ton Père et de ton Roi ! Mon fils, en tant que Seigneur et Maître de tout ce qui t'appartient, je te punirais. Tu travailleras sans relâche, pendant mille ans, et si tu ne deviens pas Prince avant la fin, je t'enfermerais dans le donjon pour le reste de ta vie ! »

L'enfant corbeau, ne voulait pas travailler comme le Roi borgne l'entendait, à chaque faute la foudre lui éclairait le dos ou lui réchauffait les doigts. Chaque jour était un peu plus dur et un peu plus long. L'enfant corbeau ne voulait pas devenir Prince, il voulait juste vivre la vie des gens qu'il lisait sur le livre magique. Il ne comptait pas se laisser faire et n'allait pas rester ici encore longtemps.

Grâce au livre magique, l'enfant corbeau devint une Corneille, grande et majestueuse. Ne laissant pas une plume sur son passage. Il s'envola si loin qu'il ne pouvait même plus deviner le Nulle-Part dans l'horizon. Il était dehors, dans les divers royaumes du livre magique. Avec les ressources et son doudou qu'il avait emporté avec lui, la Corneille pouvait maintenant vivre la vie des gens.

Malheureusement, lorsque le Roi borgne apprit que l'enfant corbeau avait disparu il décida d'utiliser un sort puissant en récitant : « Démons et aberrations ! Ô Grandes Entités, frapper l'Enfant Corbeau qui est Mon Fils ! Ne lui laissez pas répit ! Que chaque ombre lui rappelle Mon Nom et l'Enfer que Je lui ouvrirais ! J'ai caché une Pierre-Malheur dans son doudou, ce sera votre porte d'entrée ! » et les démons ont ri, acceptant d'entrer dans la tête de la Corneille grâce au doudou qui avait la pierre incrustée, celle-ci ne pouvait plus guetter les ténèbres. Et petit à petit, le soleil se faisait fort, il faisait chaud, la Corneille qui ne voulait pas brûler après autant de temps passé sous l'été décida de s'abriter. Lorsque la Corneille fit son nid sous une maison, les démons revinrent et lui dirent : « Nous sommes les Loups de ton Roi, où que tu te reposes, si tu es dans le noir tu nous verras. » Avant d'ouvrir les enfers.

La Corneille, fatiguée que chaque maison finisse par brûler, à cause de ces étranges démons, finit par ne plus vouloir rester sous les ombres. Elle pensait : « Pourquoi ? Pourquoi est-ce ainsi ? Comment ces démons font-ils pour me poursuivre ? Ils savent où je vais, ils savent ce que je fais et quand je dors. C'est impossible ! ». Le Vieux Corbeau finit par se lasser. Il marchait, sous l'été, sans jamais s'arrêter. S'envoler c'était brûler. Il n'avait plus aucun espoir. Petit à petit, il oublia même certaines choses de la vie. Dans l'oubli, il décida de faire un compromis avec lui-même. Il alla de maison en maison, pour une nuit, pour ne dormir qu'un soir, ou deux, mais dès que les enfers commençaient à faire fondre la maison, il partait sans un bruit. Les gens n'étaient pas contents, ils se demandaient où étaient les bonnes manières du Vieux Corbeau. Mais petit à petit le Vieux Corbeau mourra, se changeant en Renard.

Le Renard sifflotait dans la ville, se fichant bien des enfers que les ténèbres lui tendaient, il avait découvert une herbe magique, qui illuminait ses pupilles même quand il avait les yeux fermés. Le renard, son doudou sur son dos, son remède dans le sac, parcourait les royaumes sans peines. Il entrait dans les maisons, y dormait une nuit ou trente, partait, revenait, échangeait, partageait, il pouvait passer ses nuits n'importe où avec son doudou.

Mais un jour le Renard se changea en hibou, affamé de savoir, il voulait trouver une branche pour s'asseoir. Il comptait vivre la nuit à présent, car il savait comment faire pour éviter qu'elle vienne le nuire. Il toqua chez la Dame de la fontaine, c'était une belle dame. Il lui demanda : « Je ne cherche qu'un lieu où dormir la journée et chanter la nuit ! Je n'ai que de l'herbe magique et mon doudou. » Alors la Dame de la fontaine le laissa entrer.

Alors que la lune était passée mille fois au-dessus des chants du Hibou, le Roi borgne fut fatigué et lança : « Réveillez le doudou ! Changez-le en la chose qui fera le plus souffrir le Hibou ! », les démons, rieurs, changèrent le doudou en une couronne. Lorsque le Roi borgne se tourna vers le trône, il vit qu'il y manquait la couronne du Prince. Il demanda : « Qu'avez-vous fait de la couronne ? Vils démons, vous avez changé Mon Fils en Prince ! » et les démons répondirent : « Tu nous as demandé de trouver la chose qui fera le plus souffrir ton fils ! Alors en échange de la pierre du doudou, nous donnerons à Ton Fils l'Œil que tu as perdu ! Et en échange du doudou éventré, nous donnerons à Ton Fils le destin de te prendre ton trône et de te tuer !

— Mais, geint le Roi borgne, n'est-il pas mon ennemi ? Ma mort va le réjouir !

— Ô grand Imbécile, mon Roi, borgne est un titre, mais en réalité vous êtes aveugle. Ton Fils vivait déjà son pire cauchemar enfermé dans ta cage noire et l'Enfer que nous lui montrions était tout simplement ton Enfer à toi. Tu cherchais le Prince, tu n'as même pas trouvé Ton Fils. Pauvre Roi, tu mourras de la main de ton plus fidèle servant. »

Le récit ne raconte pas la suite de l'histoire. L'on peut supposer que le Hibou devenu Prince s'en alla tuer le Roi pour s'asseoir sur son trône. Et ce contre sa volonté. Au fond, l'enfant corbeau n'y était-il pas destiné ? De Corneille à Renard, il ne reste que trois pas pour devenir Roi.