Mes journées de cours étaient sensiblement les mêmes à chaque fois, seul le contenu des leçons changeait. J'étais toujours au premier rang, avec les mêmes professeurs qui changeaient tous les semestres. J'étais en deuxième année d'Archéologie et je faisais partie des premiers de ma promotion. J'étais très studieuse et cela me valait une petite popularité auprès des gens de ma classe. La plupart savaient que j'étais écrivaine, mais peu y portaient attention. Dans un sens cela me rassurait. La plupart des gens de ma promotion n'étaient pas du tout dans la même manière de pensée que moi et j'avais du mal à discuter avec eux sans être prise d'angoisse. Ce n'était pas seulement dû à mon anxiété sociale que je combattais de mieux en mieux, mais surtout à cause de l'orientation politique de l'université. Dubstown était connue et reconnue pour être LA ville des Arts. Tout ce que l'on pouvait mettre dans la catégorie « Art » dans ce monde, tout sans exception, avait sa place à Dubstown. Ce fut en grande partie grâce aux travaux du maire Izanagi Wa et de sa femme Izanami Arashi, deux personnalités bien étranges qui ont à jamais marqué la ville, mais ceci est littéralement une autre histoire. Pour en revenir à l'orientation politique de l'Université des Sciences Humaines et des Arts de Dubstown Est, nous sommes dans la gauche profonde. La gauche révolutionnaire, la gauche communiste, la gauche angoissante. Un profond esprit de communautarisme était ancré dans tout le campus et les gens avaient une forte tendance à considérer que ne pas rejoindre ce mouvement populaire était une honte pour les étudiants. Autrement dit il fallait que je me fasse petite en ce qui concernait mon avis sur les choses.
Étrangement, Mélodie, ma bien-aimée, n'avait pas ce même problème, elle qui se trouvait en faculté de Lettres modernes, le bastion de la résistance, elle qui était au plus proche de l'adversaire rouge, ne se souciait pas de tout ça. Elle riait souvent quand je lui disais de faire attention à ce qu'elle disait en présence des autres. C'était sans aucun doute sa gentillesse et sa naïveté profonde qui la dissimulait aux yeux de ceux qui ne cherchaient que débat. Comme ce blond nommé Yann. Un sacré personnage.
Yann était ce que j'appelais un « fils de pute », à l'heure où j'écris ces lignes je dirais juste que c'est un garçon en manque de validation sociale. Yann avait un quotidien très particulier qui faisait sa popularité : il cherchait constamment des gens avec des idéaux qui pourraient déplaire à la majorité. Lorsqu'il trouvait sa proie, ce vampire social faisait tout son possible pour lancer un débat avec le pauvre inconscient qui tomberait dans son piège. Si le débat est lancé, Yann n'essaie pas de le gagner, non, il essaie de transformer la discorde en un procès de sorcière, faisant dire ce que l'on ne dit pas et faisant faire ce que l'on ne fait pas. Une angoisse dans un corps d'humain.
Heureusement pour moi, je n'ai jamais été victime de Yann. Mais je le hais de toute mon âme. Encore aujourd'hui j'aimerais l'humilier devant toute l'université, mais j'ai passé l'âge de ces sottises.
Habituellement, je rejoignais ma douce pour les pauses, mais comme chaque lundi après-midi, Mélodie n'était pas sur ce campus, mais sur celui qui longeait les quais. Heureusement pour moi, aujourd'hui un ami de longue date était venu me tenir compagnie : Sinclair, mon peintre préféré. Sinclair était comme un poisson dans l'eau à Dubstown, connu de tous pour avoir exposé ses œuvres au sein de la grande Galerie Hirano, la galerie d'art la plus populaire et la plus chère du monde. Il était en couple avec Éva, une ancienne collaboratrice d'Ikumi Hirano, la propriétaire de la galerie. Sinclair était fin, blond, et possédait de grands yeux bleus intimidants et en amande. Lorsqu'il souriait, on avait l'impression que ses yeux étaient fermés. Ce jeune homme dont l'âge ne dépassait le mieux que de cinq années seulement était pour moi comme une sorte de guide spirituel. L'ayant rencontré lorsque je n'étais encore que lycéenne, il était l'idole de Lisa-Maria à l'époque et pendant longtemps elle essaya de l'avoir comme petit-ami, en vain.
« Bonjour, Mika', tu m'attends depuis longtemps ? lança une voix grave et apaisante que j'attendais.
— Oh, te voilà enfin monsieur Sinclair vous êtes en retard !
— J'en suis conscient, et je te présente toutes mes excuses... Je me sentais mal à l'idée de laisser Éva seule et j'attendais que son amie vienne la rejoindre.
— Rooh, je rigole, arrête de t'excuser ! Allez, viens on va becqueter avant qu'il ne reste rien. »
C'est ainsi qu'il m'accompagna au snack se trouvant à quelques minutes du campus. Nous avons pu parler de son enfant dont la naissance approchait, de l'état d'Éva, mais surtout d'art et d'Anna : deux sujets qui me tenaient à cœur. Sinclair était toujours de bon conseil et avait énormément de contact, lui poser des questions s'avérait toujours utile. Malheureusement il y avait deux choses qui rendaient cette tâche difficile : la première était que Sinclair était énormément occupé par sa vie de famille ainsi que par ses travaux personnels. La seconde était qu'il n'avait pas de téléphone portable. Autrement dit, c'était à lui de contacter les gens, et c'est pour ça que le premier point était si problématique. Cependant, c'est aussi l'absence de Sinclair qui fournit autant de plaisir à le revoir.
À force de conversations, il me demanda naïvement si j'avais cherché le compte Instagram de LG2D, afin d'avoir un peu plus d'informations sur Anna. J'ai alors ressenti un profond sentiment de stupidité. Les grands yeux de Sinclair finirent par se plisser et un grand sourire carnassier se dessina sur sa bouche. Le fait que je n'eus pas pensé à cette évidence avant le faisait bien rire et il s'amusa à me taquiner en m'appelant « Détective ». Je soufflai, essayant de retenir mon rire, avant de me mettre à glousser. C'est alors que j'ouvris Instagram.
« C'est le petit de taille ? demanda Sinclair.
— Non, ça, c'est Kumo, j'ai l'impression que c'est Anna qui prend les photos à chaque fois.
— Regarde dans la description, peut-être qu'il s'est crédité...
— Raaah ! pestais-je. Il n'y est pas non plus ! Et... toi t'as l'air de t'y connaître pour quelqu'un qui n'a pas de portable.
— J'utilise une application sur l'ordinateur.
— Attends, t'as accès à une messagerie instantanée depuis le début ? »
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Odeur de clope
General FictionJe n'ai jamais cessé d'être celle que vous attendiez que je sois. C'était ma seule condition pour accepter de me croire exister. Voilà comment se dépeint Mikaël, jeune fille d'un milieu aisé qui rêve d'art et de passion mais délaisse rapidement le c...