Odeur de clope

Bishop's Hostel

 Cette nuit, je me réveillai suite au même bruit lourd que lorsque nous étions au « Vrai ». Un tentacule. Je me levai et descendis dans le salon qui n'était plus le salon, mais le hall de l'hôtel de Garden Lone Hope. Il était là, le même sourire, la même lueur verdâtre dans les yeux, il servait deux verres, assis sur son tentacule et m'attendait en me fixant.

« Cela faisait longtemps, lançais-je en prenant place.

— C'est un plaisir de vous revoir, Mademoiselle Beriault, comment se passe votre nuit ?

— Je me suis endormie d'un coup, le stress et la course me fatiguent vite.

— Il semblerait que vous soyez encore dans une situation difficile. Permettez-moi de vous conseiller.

— Je vous écoute, répondis-je en buvant mon verre d'une traite.

— Je pense que la chose que vous poursuiviez avec votre bien-aimé n'est pas votre ennemi direct. J'ai plutôt l'impression qu'il essaie de vous mener quelque part. Vous l'avez oublié, mais il n'y a pas qu'un seul manoir dans la forêt.

— C'est vrai ça, il doit y avoir d'autres personnes qui louent des manoirs à Zulum !

— Ce serait dommage que votre Némésis y loge.

— Ma némésis ?

— Nise et Hawksworth se font la guerre, l'arme de Nise est le griffon, mais Hawksworth est protégé par le serpent.

— Lisa est là ?

— Ce n'est qu'une hypothèse, mais il est possible que toute cette agitation soit due aux actions du Culte du Mauve Œil qui tente encore et toujours de récupérer kvmx. N'est-ce pas ?

— Maintenant que vous le dites, je ne vois pas comment ça pourrait être autrement. »

Garden Lone Hope et moi-même avons continué pendant ce qui me sembla des heures. Il n'était à mes yeux qu'un personnage inventé de toute pièce par mon esprit et pourtant il avait quelque chose qui le rendait tellement réel. Bien plus qu'avec l'androïde. Ce fameux androïde dont je ne pus m'extasier de l'avoir rencontré à cause de toutes les péripéties que cela avait engendrées. Le virus dans l'androïde, la disparition de kvmx, de Timer et du majordome, le silence des gérants par rapport à la porte permettant de sortir dans la forêt, l'état inhabituel de Belle. Il y avait énormément de zones sombres dans cette histoire et je ne savais par où commencer pour déchiffrer cette énigme. Ma première hypothèse était que c'était Timer qui avait piraté l'androïde, mais pourquoi faire ? Et pourquoi s'enfuir juste après sans prévenir Nathan ? Était-ce un plan qui lui permettait de renvoyer kvmx à Nise ? Je supposais aussi que kvmx aurait pu afficher un sourire suite à mon discours lors de la soirée que ça aurait déclenché tout ça. Garden me dit que je n'avais pas le temps de me sentir coupable pour le moment et qu'il fallait d'abord régler cette histoire, et il avait raison.

Je m'apprêtais à repartir à la recherche de kvmx et de Nathanaël, je m'apprêtais à revivre une confrontation avec Nise. Je n'en avais pas vraiment envie. Je ne voulais pas recommencer cette aventure. J'étais bien mieux préparée cette fois-ci, mais je ne voulais vraiment pas recommencer cette putain d'aventure. C'était trop pour moi, c'était trop pour Laureline, Belle et Remy n'avaient rien à faire là, il n'y avait que Sinclair et Nathanaël qui étaient vraiment motivés. À vrai dire, j'aurais même préféré rester au manoir avec les autres pendant que ces deux-là partent à la recherche de Timer et de kvmx. Mais j'avais l'impression de devoir le faire, car j'étais la petite-amie de Nath', je me devais de le soutenir malgré tout. À ce moment-là, j'eus la sensation que, peut-être, je n'étais pas faite pour suivre Nathanaël. Peut-être que je n'étais tout simplement pas capable de vivre ainsi jusqu'à la mort de Nise ou de kvmx. J'allais mourir bien avant eux si je continuais ainsi. Pourtant, au début de notre relation, Nathanaël ne semblait pas avoir tant de problèmes. Je l'avais connu libre, je l'avais connu sans soucis. Et c'est sûrement le fait de l'avoir connu de cette manière qui me faisait tenir. J'avais l'espoir profond qu'au bout d'un moment, on retournerait vers la lumière, que tout ça allait bien s'arrêter à un moment et que nous pourrions de nouveau profiter de notre couple. Les choses devenaient toujours plus effrayantes, plus étranges, plus puissantes, mais ces histoires-là, Nath' les vivait avant de me connaître, s'il avait déjà été capable de retourner à la sérénité une fois, il pouvait le refaire. C'était ça qui me faisait tenir plus que tout.

À mon réveil, je désirais prendre mon petit-ami dans mes bras, pour me rassurer par sa présence. Mais il n'était déjà plus là. Seule dans le lit, je me mis à regarder le plafond. Mon nez me piquait et les larmes commençaient à humidifier le pourtour de mes yeux. C'était stupide de ma part, je n'avais qu'à descendre pour le rejoindre, mais j'aurais aimé qu'il soit là, contre moi, dans le lit, maintenant. Lui qui avait l'habitude de dormir longtemps quand il dormait avec moi, la situation ne s'y prêtait pas ce jour-là. Un profond épuisement moral me bloqua dans le lit, essoufflé, perdu, ne sachant quoi vraiment faire face à cette émotion. Je n'avais pas la force de me lever, ni même d'appeler quelqu'un. Je me recouchai, dans les larmes et dans une certaine rage de moi-même.

« Quelle vie de merde ! »