S'il y a bien une chose qui m'a toujours fascinée chez Nathanaël, et qui me fascine encore aujourd'hui, c'est l'intensité de son regard. Lorsqu'il s'assombrissait, c'est comme si Nathanaël quittait son corps. Comme s'il rentrait en transe. Cela lui arrivait souvent. Il ne fallut que quelques conversations avec Timer et Laureline pour le comprendre : il souffrait énormément. Ce garçon était torturé par des démons dont nous n'avions même pas idée. C'est une chose que ma sœur avait remarquée aussi lors de son court flirt avec lui. Mais un jour, il me vint l'idée de demander à Laureline ce qu'il se passait dans la tête de Nath' lorsqu'il était dans ces états mystiques. Elle me répondit qu'il y faisait ce que nous faisons nous quand nous rêvons. Il voyage consciemment dans l'univers de son subconscient. Il y règle certains systèmes, huile les rouages, dépoussière les souvenirs. S'il en est capable, c'est avant tout grâce à ses insomnies. Il était tellement fatigué, et ce de manière constante, qu'il a pris pour habitude de tomber dans des sortes de comas conscients. Est-ce qu'il le fait de lui-même ? Est-ce qu'il ne fait que tomber de sommeil ? Peu importe, le fait même que l'on se pose la question rend cet état mystique.
Si je raconte tout ça, c'est avant tout parce qu'il faut comprendre comment agit le regard de Nathanaël pour le comprendre. Lorsqu'il m'emmena dans sa chambre pour parler seul à seul, il me demanda si ça allait. Je lui répondis que ça allait mieux grâce à lui. Lorsque je lui demandais comment il avait deviné, il répondait par d'autres questions. Et ce n'est qu'au bout d'une vingtaine de minutes qu'il accepta d'y répondre en me disant qu'il l'avait juste senti. Qu'il eût senti que j'étais en train de faire naître une aberration. Alors dans une profonde, mais courte réflexion, il se demanda qu'est-ce qui était possible de faire pour m'aider et son instinct a parlé. Je ne le croyais pas, enfin, je le croyais à moitié. Il était dur de savoir s'il fallait le croire lorsqu'il parlait de ce genre de choses. Entre les aberrations, les extrasensations, son regard étrange, tout ça, je ne savais s'il y avait un double sens ou non. J'ai supposé qu'il y en eût un, car Nathanaël n'était pas du genre à mentir lorsqu'il n'avait pas le sourire. Au fur et à mesure que l'on discutait, je remarquais que je ne percevais plus les détails, les odeurs, tout était redevenu très flou autour de moi. Le fait que je sois perturbée se lut très facilement sur mon visage et Nath' se mit à rire. Il me dit ensuite : « C'est bon ? L'enfant du vice est mort-né ? », ce qui était en soit très glauque, mais très vrai, mon petit antéchrist émotionnel était parti. Nous avons ri ensemble avant que je ne l'embrasse avec fougue. Il accepta mon baiser, mais rien de plus.
Je ne fus pas vexée lorsque je le vis s'éloigner de moi. Il s'excusa, me disant qu'il ne comprenait pas trop ce qu'il avait. J'étais étonnamment compréhensive et patiente en lui répondant que ça allait, que ce n'était rien. Il me demanda un instant et son regard s'assombrit à nouveau, mais bien plus que d'habitude. Ses pupilles qui semblaient embrumées lorsqu'il se perdait n'étaient pas comme d'habitude, cette fois-ci on aurait dit un océan noir et tumultueux. Le lieu de naissance du maelström. Il semblait avoir plongé en plein cœur de lui-même. Mes lèvres brûlaient d'envie de lui demander s'il allait bien, si c'était normal, mais dans le fond de mon cœur je savais qu'il ne fallait pas le déranger. Il m'avait demandé un instant, j'allais le lui laisser.
Son visage trahissait différentes émotions, mais une seule était vraiment dominante sur les autres : c'était la colère. Il semblait énervé, pas contre quelqu'un, contre sa propre personne. Il semblait vouloir changer quelque chose dans son esprit, supprimer la raison de son blocage. Il voulait comprendre pourquoi il avait réagi comme ça et faire en sorte que l'inverse se produise. C'était tout ce que son visage racontait. Ça faisait énormément de choses.
Après quelques minutes, pas plus de cinq, il revint à lui, changé. Il me regarda dans les yeux et semblait gêné de m'avoir fait patienter ainsi. Sa respiration s'était accélérée aussi. Il s'approcha de moi, et sans aucune transition il me demanda si je pouvais lui laisser un peu de temps. Il m'expliqua qu'il sentait au fond de lui, la sensation de vouloir se mettre en couple avec moi. Qu'il était amoureux de moi ! Je ne pouvais rien répondre il ne me laissait aucune fenêtre. Il continua en disant qu'il savait que j'étais amoureuse de lui, et qu'il ne voulait pas me faire de faux espoirs. Il disait qu'il ne supportait pas l'idée de m'embrasser, car ce sans la certitude qu'une autre personne ne vient pas les embrasser par la suite. Cela ne lui ressemblait pas. Lui qui était le premier à dire : « Tu ne peux aimer tout le monde si tu en aimes un. » Se retrouvait à tomber amoureux de moi. Je l'ai pris comme un affront, comme un mensonge, comme si ce n'était pas possible. Il insistait, me disant que lui aussi n'y avait pas cru au début. Je ne me suis pas débattue longtemps, il était évident que je voulais sortir avec lui, mais c'était tellement soudain qu'il me fallut un petit temps de révolte. En vérité, j'étais déjà à lui. Je n'avais aucune honte à l'admettre, il était extraordinaire.
Alors je l'ai embrassée, je me suis levée, et je lui ai souhaité un bon travail en quittant sa chambre. Je lui envoyai un dernier sourire, il fit de même et la porte fut fermée. Une fois de l'autre côté, en dehors de son champ de vision, un sourire vint déchirer mon visage tant son arrivée fut vive. J'étais heureuse, heureuse comme rarement je l'avais été, j'ai alors rejoint ma chambre, heureuse, oubliant ma tâche qui était d'aider les autres. Trop joviale pour penser à travailler.
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Odeur de clope
General FictionJe n'ai jamais cessé d'être celle que vous attendiez que je sois. C'était ma seule condition pour accepter de me croire exister. Voilà comment se dépeint Mikaël, jeune fille d'un milieu aisé qui rêve d'art et de passion mais délaisse rapidement le c...