Mal mal mal mal.

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Le lendemain je fus tirée de force par ma chère et tendre pour une « journée shopping » et cela fait partie de ces conceptions qui m'angoissent au plus haut point. Je n'ai jamais douté des vertus thérapeutiques du fait de chiner dans les boutiques un moment de repos afin de respecter son quota d'achats compulsifs du mois et de se sentir récompensée pour avoir... fait quelque chose ? Cependant une idée telle que de s'engouffrer dans une foule sous vingt-cinq degrés et de passer plus de temps à avancer que de temps à s'extasier est pour moi la pire concrétisation du concept de masochisme. J'ajouterais que je sais très bien de quoi je parle. Alors que nous vivons dans l'ère du numérique, du digital, les gens prennent un temps insensé à se bousculer dans les centres commerciaux quand ils pourraient commander sur Internet. Et évidemment le lecteur est en droit de signifier que je ne pense pas aux dépenses de transports, et il peut même me contredire en disant que certains articles ne sont en vente que dans les boutiques physiques. C'est un argument que je peux entendre, mais sans vouloir manquer de respect au lecteur, je pose la question suivante, est-ce que le temps économisé ne vaut-il pas ces fameux articles et les frais de livraison ? Mais qu'importe, je suis une mauvaise interlocutrice lorsque l'on parle de ce genre de chose.

La vérité, c'est que la foule m'angoisse.

« Elle t'irait bien cette parka !

Son sourire appelle le mien.
­­­­­­­­­­­­­­­­­­­­— Cette chose-là ? Sérieusement ? » questionnait-je, puis une sensation étrange me parvenu en la détaillant du regard.

Une partie de ma mémoire me revenait. Comme un flash de lumière, suivi d'un simple bruit de carillon. Cliché, encore. Cela ne dura qu'un instant puis nous avions déjà repris la recherche d'atours. Ce n'était pas grand-chose et je fus vite arrivée à autre chose, jouissant du fait que peu de clients étaient dans la boutique et que par conséquent je pouvais profiter des rayons avec ma demoiselle. Elle était toujours habillée divinement et cela personne ne pouvait dire le contraire. Son maquillage, le choix des couleurs, les formes, les courbes, les angles, de ses cheveux à ses chaussures, en passant par ses yeux et ses mains, elle resplendissait d'une telle lumière que dans certains cas je me sentais honteuse de lui infliger ma présence. Mais à chaque fois je me trouvais chanceuse d'avoir à mes côtés une femme aussi belle. Elle était une magnifique Taylor Lashae pendant que de mon côté, j'étais une version contrefaite et bon marché de Baek Ye Jin.

« — Excusez-moi, vous n'auriez pas du feu s'il vous plaît ? »

C'était une nymphe, aux cheveux décolorés et violacés qui me posa la question, un pétard à la bouche. Acceptant sa requête, je lui tendis ce briquet noir, un léger enjouement aux lèvres, un sourire évidemment qui n'était motivé que par pure sympathie. Elle prie une solide minute à allumer sa tige fumigène – et par fumigène j'entends que ça fumait énormément, une bonne dose de hasch en somme. – puis, après remerciement, elle partit rejoindre un... ce gars !

Je fus alors prise d'un stress épouvantable, elle, en bottines sinistres, ses cheveux blancs aux mèches mauves. Lui, sa parka, sa crinière noire, son regard inexpressif. Il patientait, sans me remarquer. Si simplement je n'étais pas avec Mélodie. Si seulement elle n'escomptait pas mon retour en trainant dans les rayons de Pull&Bear. Si juste... non. Je ne pouvais pas lui faire ça. Sans décisions choquantes et inattendues, mon récit ne deviendra jamais un roman à succès, mais malheureusement je n'ai rien fait. Le samedi était l'un des seuls moments de la semaine où elle pouvait s'amuser avec moi. Et puis je n'allais pas courir vers lui pour un briquet, mon anxiété sociale valait bien plus que ça.

« — Ça s'est bien passé ?

Elle est heureuse que je revienne si vite de ma pause clope. C'est le son de sa voix qui me l'avoue.
— Mmh, ouais... », évidemment, ce qui venait de produire était à garder sous clé.

On arrive chez elle, il est tard. Les néons mauves m'apaisent. Au revoir ma veste, adieu mon écharpe. Bye-bye mes Doc Martens et mes chaussettes. Bon vent, mon soutient-gorge, à bientôt mon jean. Seuls mon t-shirt et mon caleçon restent. Oui, mon caleçon. Je la regarde, me mets à ricaner et lui réclame de ne pas me demander pourquoi. Son rire est doux.

« Tu veux l'allumer ? » est une question que j'adore. J'y réponds souvent oui, excepté lorsque je suis déjà en train de fumer, mais ça arrive rarement avec Mélodie. D'après elle, il ne faut pas que je bombarde trop. Durant nos débuts en tant que couple, j'étais une fumeuse compulsive, j'ai énormément diminué au fil du temps. Toutefois depuis un an, Mélodie, ma délicieuse redhead, a décidé que « ne pas trop cloper » équivaut à le faire uniquement quand elle en a envie. Je dispose évidemment de mon libre arbitre, mais il existe de partout, des forces occultes que l'on n'ose pas défier, cette règle faisait partie de ces autorités.

Le spliff était vigoureux et il m'assomma très tôt – Les risques de fumer dans un lit... — cependant, au réveil, ce n'est pas le fait de m'être endormie si vite qui m'a fait mal au cœur

Cette nuitée — est-ce le joint qui a produit cet évènement ? —, ce garçon est revenu. Mes souvenirs de ce rêve sont flous, mais certains moments ont persisté à s'ancrer dans mon être. Ses mains, ses yeux, la noirceur, nous deux, le lit, le feu... dans mes reins. Ma bouche qui s'ouvre en grand pour oxygéner mon cerveau qui ne sait que faire de toutes ces émotions, son attention inexpressive et la puissance qu'il met sans dire un mot. Je le regarde et je suis déchirée par passion et question. « Que veux-tu ? » et « N'arrête pas ! » étaient les deux seules phrases qui me venaient à l'idée.

Cela ne m'était jamais arrivé. Je me sens mal pour Mélodie, je me sens mal pour notre couple, que faire de tout ça, ce n'était qu'un rêve et pourtant ça tourbillonnait en moi, une torpeur croissait, comme si cela était réel. Je sors du lit, infidèle, honteuse, souillée, Mélodie dort encore, mes larmes montent dans la salle de bain.

Mal.
Mal.
Mal.
Mal, mal, mal, mal.

Odeur de clopeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant