Le lendemain de ma soirée avec Laureline, nous étions lundi. Ce jour, source de nombreuses complaintes était relativement agréable pour moi. Je me plaisais à aller en cours, et ce peu importe mon niveau de sommeille. La connaissance, l'apprentissage, la découverte, ce sont des concepts qui m'ont toujours plu. Déjà lors de mon enfance je ne me souvins pas avoir été une seule fois malheureuse à l'idée d'aller à l'école, grande surprise pour mes parents qui furent ravis de cette situation. Cependant, mes notes n'étaient pas forcément révélatrices de cette passion. Les mathématiques, bien que plus tard j'eus la confirmation qu'ils m'auraient été bien plus utiles que je ne le pensais, n'étaient pas ma matière de prédilection. Et ceux-ci au même titre que la chimie, la physique, l'économie sociale, la technologie ou l'informatique. Seules les matières littéraires me passionnaient. Je n'étais pas avide d'avancées technologiques ou scientifiques, mes vraies passions se sont toujours trouvées dans la poussière du passé. Mon père, dont les attentes n'étaient pas en concordance avec mes envies, se sentit trahi lorsque mon choix fut clair : je voulais être archéologue et j'allais passer par l'histoire de l'art pour en arriver là.
Il eut deux évènements dans ma vie qui me conduisirent à m'échapper la demeure familiale au plus vite. La première fut mon refus catégorique de croire en Dieu, ou du moins, le dieu de mon père, celui de la bible. J'éprouvais déjà — et j'éprouve toujours — un grand respect pour les livres saints ainsi que pour les croyances qui gravitent autour, cependant je n'étais pas satisfaite des réponses données par ces œuvres. En réaction à cela, monsieur Beriault Éric décida d'inscrire sa fille au Lycée Catholique Alissa Bucolin. Un lycée qui empestait la foi et la campagne et dont la porte d'entrée était étrangement étroite. Elle semblait, à première vue, dans les normes et n'apparaissait pas différente par rapport aux autres portes d'entrée des lycées de la ville. Et pourtant...
Ce fut là-bas que je fis la connaissance de Camila, une camarade de classe d'origine marocaine qui devint vite l'une des seules personnes de confiance de tout l'établissement, adultes compris. Ma vie lycéenne fut accompagnée d'elle et de Lisa-Maria, une redoublante au look alternatif et aux idées anarchistes qui se vue attribuer le rôle de mouton noir au sein de l'école. Une arabe et une anarchiste, pour les autres élèves j'étais la petite bourgeoise voulant provoquer ses parents. Car je n'étais pas différente des autres élèves, jamais déshabillée au-dessus des genoux, jamais décolletée, et aucun garçon n'eut le plaisir lubrique de découvrir ma nuque. À l'heure où j'écris ces lignes, je me souvins encore de la sensation de mon large serre-tête en coton noir. Serre-tête qui me servait à découvrir la seule partie de mon corps que je m'autorisais à révéler : mon front.
Contrairement à ce que l'on pouvait penser, malgré mon rejet de la Sainte Trinité, je fus une élève exemplaire. De la seconde où je sortais de la voiture noire de mon père au dépose-minute en face du portail, jusqu'aux dernières entrevues de ma petite silhouette rentrant dans sa voiture pour rentrer chez-moi. J'étais une petite chrétienne irréprochable. L'idée de faire honte à mon père auprès des autres me terrifiait. Enfant, je ne croyais en l'hypocrisie et je savais très bien qu'il aurait été impossible pour moi de faire croire à mon père que nous avions la même foi. Je n'aurais jamais pu lui mentir, et je pense encore que ce fut ça qui le rongeait.
Ma mère, croyante aussi, tentait des approches plus douces que mon père qui me faisait des sermons pendant de longues dizaines de minutes. Tous les soirs, à vingt-et-une heures trente, elle s'asseyait à mon chevet et me contait des récits bibliques pour m'endormir, répondant aux questions que je me posais pendant les histoires. Aujourd'hui, je pense comprendre les raisons pour lesquelles mon manque de foi les tourmentait.
La deuxième raison fut mon entrée en filière littéraire, mettant un trait à tout espoir de métier scientifique. C'est à ce moment-là que les reproches de mon père commencèrent à être insistants et que ma mère devint plus distante, ses pulsions maternelles refrénées par les interdictions de mon père. Espérait-il que la solitude au sein de la demeure familiale finirait par me faire regretter mes choix ? Peu importe, ce fut le cas. Est-ce que cela me donna envie de faire machine arrière ? Aucunement. Au contraire, je fus davantage persuadée qu'il fallait continuer, car dans mon innocence, je voulais prouver à mon père que mes choix n'étaient pas des erreurs. Lisa-Maria saluait régulièrement cette force de caractère d'ailleurs. Je l'ai perdue. Si la Mikaël Beriault postbac venait à devoir revivre cette situation, elle craquerait sûrement et finirait par demander une chance de redoubler afin de faire une filière scientifique.
Ce fut alors à ma deuxième année de vie lycéenne que je devins le diable logeait dans la chambre bleue comblant le couloir du premier étage de la demeure Beriault. Je ne posais plus mes pieds sur le trottoir du dépose-minute, mais validait mon titre de transport à l'avant du bus scolaire tous les matins à 7 h 16. Ce fut aussi le début de mes trajets avec Lisa-Maria qui me rejoignait 3 arrêts plus loin. Elle, Camila et moi-même formions un trio qui devint petit à petit les mauvaises fréquentations d'Alissa Bucolin. Étant donné le peu d'élèves attirés par la filière littéraire nous avons eu la chance de nous retrouver dans la même classe.
Lisa et Camila n'avaient pas vraiment de lien à la base et j'étais la raison pour laquelle elles sont devenues amies. Lors des cours, quand nous avions de la chance, j'étais assise au même bureau que mon amie marocaine à l'avant-dernière ligne d'élève au fond de la classe pendant que la redoublante s'asseyait derrière, seule. C'était par choix de Lisa-Maria, sachant que nous étions plus sensibles à l'autorité des adultes et ne voulant pas nous voir en échec par sa faute. Malgré son caractère conceptualisé par un grand instinct de rébellion, la jeune Espagnole avait surtout peur de perdre les seules personnes qui l'appréciaient réellement. Et de plus, son attitude maternaliste lui donnait un certain plaisir à nous voir studieuses pendant toute notre année de première. Camila, elle, était tout simplement plus à l'aise à mes côtés, cela lui permettait de copier mes réponses pendant les contrôles. Je n'étais pas la meilleure élève de la classe, mais j'étais bien au-dessus de la moyenne générale, ce qui lui donnait une confiance sans failles en mes réflexions scolaires.
Un autre détail important qui marqua cette première année littéraire fut l'accroissement de ma cote de popularité. Les garçons commençaient à s'intéresser à moi. Bien que je découvrisse pour la première fois par cette occasion les vices de l'ego, je savais que les garçons ne voyaient en moi qu'une potentielle première fois. J'étais loin d'être aussi belle que Lisa-Maria, et mes formes ne valaient en aucun cas les courbes de Camila. J'étais certes mignonne, mais c'était ma naïveté et ma gentillesse qui attiraient l'attention. Les rumeurs circulaient sur la virginité effacée de Lisa-Maria. Et les fantasmes des jeunes hommes se portaient souvent sur le corps de mon amie marocaine, et entre ces deux succubes, se trouvait la « fille facile » dissimulée sous les traits d'une petite catholique aux airs purs.
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Odeur de clope
General FictionJe n'ai jamais cessé d'être celle que vous attendiez que je sois. C'était ma seule condition pour accepter de me croire exister. Voilà comment se dépeint Mikaël, jeune fille d'un milieu aisé qui rêve d'art et de passion mais délaisse rapidement le c...