Bonne nuit

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 J'étais transpirante, fatiguée, brisée et face à ma mère. Elle me regardait comme si j'étais une inconnue, une mendiante venue faire la manche au porte-à-porte. Mes vêtements étaient sales et mon visage trahissait ce que la vie m'avait infligé. Elle se mit à pleurer, pleurer comme je ne l'avais jamais vu faire auparavant. Mon père, alerté par les pleurs de ma mère, vint voir ce qu'il se passait. Il me vit et ses yeux rougirent. Il prit ma mère dans ses bras et me demanda de rentrer. Je passai le seuil de la porte et me déchaussa avant de regarder mes parents avec l'air de ne pas savoir où je me trouvais. Les croix, les tableaux, les petites bibles, les chandeliers, l'odeur de lavande, cela paraissait tellement lointain pour moi que j'avais l'impression de ne pas m'en souvenir. Mon père s'approcha de moi après avoir aidé ma mère à s'asseoir. Il semblait beaucoup moins sévère et imposant que dans mes souvenirs, il semblait fragile et fatigué, ses cheveux étaient d'un blanc puissant. Il me fit signe de la tête de lui donner mon sac. Je m'exécutai. Puis il me fit signe d'enlever ma veste. Je continuai de suivre ses instructions. Il conclut en me chuchotant d'aller prendre un bain.

Une fois dans la baignoire remplie d'eau chaude, je regardai le plafond blanc de la salle de bain. Je le fixai pendant plusieurs minutes sans rien penser. Petit à petit, l'eau se mit à remplir la salle de bain. Et au fur et à mesure que je flottais dans la pièce qui allait bientôt devenir un aquarium géant, je sentais mes démons s'en aller, de peur de se noyer. L'eau les chassait et ne laissait que moi. Je me rapprochais de plus en plus du plafond jusqu'à ce qu'il s'ouvre en deux me laissant voir que l'eau avait englouti le monde entier. Il ne restait que moi, au milieu de l'océan, des abysses. Mais ce n'était pas les mêmes abysses que celles que je fuyais. C'était mes abysses. Mon monde à moi. Alors je me laissai couler. Au milieu des algues, au cœur de l'océan de ma vie.

Des nuages de poissons nageaient au-dessus de moi en dissimulant ainsi le soleil qui traversait les vagues pour parvenir à m'éclairer au milieu de l'eau. Si les anges existaient dans ma baignoire, ce serait des raies. Comme celles qui tournaient autour de moi. J'étais si apaisée dans cet océan solitaire que je n'avais pas remarqué que je ne respirais plus. Je n'en avais plus besoin de toute manière. Il n'y avait plus aucune importance à survivre ici, je ne pouvais plus que vivre. Vivre sereinement, sentant les vagues des fonds marins, les caresses végétales des forêts rosées, les remous provoqués par les baleines qui passaient parfois devant mon corps flottant. Je ne nageais pas. Il n'y avait plus aucune importance à nager ici, je ne pouvais plus que flotter. Flotter sereinement, sans peine ni terreur, sans larmes, sans rage.

Alors, au milieu de l'eau, je repensais une dernière fois à Nathanaël, mon prince aux cheveux de ténèbres, Lisa-Maria ma douceur au carré court, Laureline ma nymphe aux touches violacées, et Sinclair mon guide spirituel. Et cette lettre, K. Cette lettre, ce masque, cette entité, peu importe le nom qu'on lui donnera, cette horrible idée que Nathanaël se vouait à retrouver. C'était de sa faute, mais c'était trop tard pour lui en vouloir, je n'avais plus envie de combattre, plus envie de lutter. Je lui pardonnais tout, car au final, mes échecs étaient mes échecs, et ceux de personne d'autre. Au fond de mon océan, je n'avais plus aucune crainte donc plus aucune ne peine, donc plus aucune rancune. Je ne cherchais désormais que le repos. J'étais enfin rentrée, j'étais à la maison, j'étais arrivée, c'était là que je devais aller. Au final, à fuir ma maison, ma famille, je fuyais le seul endroit où j'étais vraiment sereine, je fuyais le seul endroit où je pouvais trouver le repos. Mais maintenant j'étais apaisée, je pouvais fermer les yeux.

Petit à petit, le soleil se coucha, lentement, sans brusquer. Et alors, il était temps de dormir. Ce sentiment que provoquait la fin de toute cette aventure était satisfaisant. Je trouvais que j'avais bien vécu, j'étais même plutôt fière de moi. Je prévoyais même de tout raconter à mes parents lorsqu'ils plongeraient à leur tour. Mon père serait sûrement ravi de savoir à quel point Métro avait su toucher les gens, et j'imaginais déjà le regard de surprise que ferait ma mère lorsque je lui raconterais toutes mes mésaventures. J'avais quand même vécu beaucoup d'aventures avec LG2D. J'avais même contourné un barrage policier à l'arrière d'une moto conduite pas mon ex-copine du lycée. J'avais rencontré le chef d'une secte qui contrôlait tout une partie de Charlatown, et je lui avais tenu tête. J'ai accompagné des artistes talentueux à leurs concerts, j'avais même eu la possibilité de passer quelques nuits dans un des manoirs les plus luxueux de Dubstown au cœur de sa forêt. J'avais rencontré un androïde. J'avais fini d'écrire un nouveau livre. Je collaborais avec un ami d'Hirano et je m'étais même retrouvée dans une conversation entre Damgaard et mon ex-copain. Ils n'auraient jamais pu imaginer que leur petite fille dissidente en arrive jusque là.

Et alors que je repassais en boucle le fil de ma vie dans ma tête, mon corps se mélangeait à l'eau. Je devenais l'eau. Je n'étais plus Mikaël, j'étais l'océan. Qu'importe que je sois vague ou écume, j'avais rejoint à mon tour ce Grand Tout. Je n'avais plus à subir la douleur de l'individualité, seul persistait mon apaisement. Avant qu'elles ne disparaissent pour ne devenir que liquides, je bougeai doucement les lèvres pour dire au revoir à Nathanaël, Lisa-Marie, Sinclair et les autres. Je pris le temps aussi de les remercier, de remercier Garden Lone Hope aussi, de remercier ma sœur, et même Remy. Qu'importe, vague ou écume, l'océan était la demeure la plus douce que je pouvais avoir. Je n'étais plus rien d'autre que l'eau. Et alors que ma langue devenait flot, je vibrai une dernière fois mes cordes.

« Bonne nuit. »

Odeur de clopeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant