Retour à la réalité

22 7 0
                                    

 Après une telle conversation, je n'avais plus vraiment envie de rester avec Kvmo et décide d'aller aider Nathanaël et Laureline, prétextant une intuition soudaine. Kvmo ne me regarda même pas et continua sa route. J'aurais pu croire qu'il était vexé, mais je savais très bien que Kvmo vivait dans un univers où mon existence n'importait pas. Alors j'ai pris le chemin de l'appartement. Cependant, après avoir quitté la compagnie de Kvmo, j'eus une sensation étrange. Comme si tous les détails du monde devenaient de plus en plus visibles. Comme si je voyais flou depuis un moment et que le retour de la vue m'avait averti de cette cécité temporaire. Je voyais les visages, je sentais les odeurs. La ville, les gens, ça commençait à m'angoisser. Je me suis dépêchée de rentrer.

Sur le chemin, cette sensation étrange s'amplifiait au fur et à mesure que j'avançais. Mon cerveau tanguait et j'avais mal au crane. Les vieilles qui s'affaissaient sur elles-mêmes, les mecs louches qui trainent autour de la gare, les meufs hautaines qui s'amusent à rigoler d'un inconnu en face, sourd par son casque audio. Tout me semblait ennuyeux, tout me semblait faux, stérile, sans aucun sens. J'avais la réelle sensation d'être retournée à ce soir, ce soir où ma vie avec Mélodie m'a rendu amer, ce soir où j'ai rencontré Anna, qui devint 312 puis Nathanaël. Ce soir où j'aurais tout donné pour être seule ou avec lui. J'étais dans la même situation actuellement, que la ville se désinfecte de sa population ou que Nathanaël apparaisse devant moi. L'univers avait le choix. Je ne lui laissais pas d'autres opportunités. C'est à ce moment-là que j'entendis la sonnette d'une trottinette électrique. En me retournant, j'espérais dans toute ma fantaisie et ma naïveté que ce serait Nath' qui passait par là et qui s'apprêtait à me dire : « Allez, monte. » Mais ce n'était qu'un fantasme. Il y avait bien un jeune homme à la recherche de sa destinée, mais ce n'était pas Nathanaël et je n'étais pas sa cible. Alors qu'importe, j'ai continué de marcher, regardant mes Vans m'emmener jusqu'à ma demeure, mon chez-moi, loin de tous ces détails de la vie. La rue empestait d'une odeur qui aurait pu provenir de n'importe où sauf d'un lieu habité par les humains. Une odeur horrible. En avançant un peu, me retrouvant à l'épicentre de l'immondice, je pus voir que l'odeur provenait d'un bâtiment en ruine, chose rare à Dubstown. Les tuyauteries avaient dû se casser à l'intérieur et faute d'habitant, rien n'allait se régler tant que la mairie ne ferait rien. Je continuais mon chemin.

J'étais arrivée dans le hall de notre immeuble. L'odeur du hall aussi, elle était sale, humide, vaseuse. Je ne l'avais jamais sentie comme ça avant, je n'avais jamais vu tous ces mégots, je n'avais jamais remarqué tous ces tags, toutes ces traces. Mais alors que voyais-je durant tout ce temps ? Ou du moins, que regardais-je ? Je pouvais sentir un creux en mon sein. Comme lorsque je n'étais plus comblée par Mélodie... est-ce que Nathanaël me faisait encore quelque chose ? C'était la question qui était venue naturellement à mon esprit. Et alors que j'arrivais devant les escaliers grisâtres qui ne se mélangeaient en rien avec le vert sale des murs, mon esprit transforma chaque marche en une lourde épreuve. Chaque marche, au fur et à mesure que je marchais, n'était pas plus grande, ou plus longue, non, elle me posait une question. Chaque pas venait avec son interrogation. Qui suis-je ? Qui suis-je vraiment ? Où vais-je ? Comment dois-je continuer ? Est-ce que j'aime encore Nathanaël ? Me fait-il toujours autant d'effet ? Les questions s'enchaînaient. Quand j'ai descendu ces marches pour la dernière fois, j'étais sûr d'une chose, ma vie était belle. Maintenant que je suis sur le palier de ma porte, je me rends compte que je ne sais rien. Que mes sentiments peuvent basculer à tout moment. Je me le répétais en silence dans ma tête : « Je ne sais rien. », je n'étais qu'une folle pensant être reine. Une mendiante avec une cape dorée. Peu importe la parure dont je me couvre, je suis maigre et fatiguée. Mon cœur est encore saignant, la plaie est encore brûlante lorsque le vent souffle dessus. Je n'étais partie que quelques heures et pourtant je doutais de reconnaître Nathanaël quand j'allais le voir. Mon monde entier s'écroulait, sans raison apparente, juste des questions, sorties de nulle part, et une horrible lourdeur dans mon esprit.

J'ai alors passé la porte de notre appartement, je l'ai refermée derrière moi. J'ai enlevé mes chaussures, et j'ai croisé son regard. Son regard sombre. Ses yeux, au moment où ils ont croisé les miens, se sont instantanément assombris, comme si une brume épaisse et noire avait envahi ses pupilles. Puis, pendant un instant, je crus voir un maelström tourbillonnant et destructeur dans le creux de ses iris. Un élément déchaîné, un Djinn enragé au cœur des yeux de mon bien-aimé. Et avant même que je ne fusse sortie de mes pensées, il était en face de moi, ses mains serrant mes épaules. Il me regardait. Un regard beaucoup moins sombre malgré la pénombre que formait le muret du plafond séparant l'entrée du couloir central. Ses yeux n'étaient pas seulement posés sur moi, mais sur tout ce que j'avais fait.

« Tu es Mikaël, tu es un membre de LG2D, et pour le reste, ce n'est qu'à toi de décider. »

Comment avait-il su ? J'essayais de répondre, mais ma voix se brisa sous les larmes. Des pleurs, incontrôlables. Dans un cri je relâchai ce qui était en train de naître en moi. Toute cette angoisse se mit à s'expulser par mes yeux, mon nez et ma voix. Je fondais en larme sans n'avoir aucun moyen de m'arrêter. Je hurlais, je criais, j'avais mal, trop mal. J'ai toujours ressenti cette douleur, mais c'est comme si à ce moment précis, tout était devenu trop dur pour moi. Je ne savais pas comment tout arrêter. Je ne pouvais que hurler et m'excuser à travers la morve et les larmes. Timer et Laureline étaient à mes côtés, Laureline me prenait dans ses bras et Timer demandait discrètement à Nath' ce qu'il se passait. Nathanaël répondit avec une voix forte qui laissait entendre qu'il souriait : « On a évité le pire ! » avant de se mettre à rire. Il me réquisitionna par la suite pour que l'on parle en privé dans sa chambre.

Odeur de clopeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant