Odeur de clope

La Lune et le Démon

 Luna s'écria jovialement : « Il me suit depuis au moins cinq ans.

— Il sait qui est sa mère ?

— Il dit que c'est elle qui a guéri le vampire et les serpents.

— Oh ! Oh... Je vois, je connais la maman de ton ami. C'est une bonne amie à moi.

— Tu la connais ! Hourra ! On va retrouver la maman de Béhémoth.

Luna se mit à chanter et à danser, mais fut coupée.

— Non.

— Hein ?

— La maman de Béhémoth est morte.

— Quoi ? demandais-je, stupéfaite. T'es sérieux, là ? Flo' ? »

Les yeux de Luna commençaient à gonfler de larmes. Florian baissa les yeux et dit : « Béhémoth doit d'ailleurs rentrer chez lui, et toi tu devras te trouver un nouvel ami, un vrai ami cette fois. Pas un ami qui se sert de toi. », une aura s'échappait de son être alors qu'il prononçait ces mots. L'atmosphère semblait lourde, l'air devenait chaud. Luna ne savait pas quoi dire, et moi j'étais tétanisée tant cette situation était étrange. Florian semblait en colère. Et l'air se mit à vibrer derrière Luna, comme si une forme invisible déformait le vent. Je pouvais la voir se dessiner, la forme de cette chimère gigantesque de mon cauchemar. Florian reprit la parole : « Dis-lui adieu, Béhémoth est assez vieux pour se débrouiller seul, et toi aussi. » puis il se mit à sourire avant de conclure en disant : « Car de toute manière, Béhémoth se rendra très vite compte qu'il ne peut pas vivre sereinement ici. » Et Luna éclata en sanglots. L'atmosphère devint moins pesante, tout sembla léger à nouveau. Luna sécha ses larmes et s'excusa avant de tourner les talons. Florian la rattrapa et lui chuchota quelque chose à l'oreille avant de la laisser partir. Après avoir entendu les mots du dragon, Luna retrouva le sourire et parti joyeusement. Je regardai Florian et lui demanda ce qu'il avait dit, il me répondit que c'était un vieux dicton de dragon.

Je ne demandai pas plus d'explications sur ce qu'il venait de se produire, je n'en avais ni l'envie ni le besoin. Mais étrangement, j'étais satisfaite de ce dénouement, comme d'habitude rien n'avait de sens, mais, qu'importe, j'étais contente que tout se soit fini ainsi. Avec Nathanaël les aberrations étaient toujours compliquées, Florian avait réglé la situation très facilement, sans que du stress ne s'accumule. Cependant il trouvait ça inquiétant, que les aberrations me suivent ainsi. Il ajouta que ça expliquait l'intérêt que Ikumi me portait. Je lui répondis que j'espérais juste que mon parcours à la galerie se passe bien. Je ne voulais pas échouer. Cela le fit sourire. Il me regarda et me dit : « J'ai un petit frère qui est vachement doué pour exaucer les vœux, je lui demanderais de faire une petite prière pour que tu puisses au moins réussir ça. ». C'était marrant d'entendre ça, mais je ne sais pas pourquoi, je trouvais que c'était vraiment réconfortant. Comme si le frère de Florian était vraiment capable de me protéger pour ça. Ça ne me coutait rien d'espérer.

Après une longue conversation avec Florian, je décidai de rentrer, je voulais profiter de ma dernière soirée avec ma famille avant de reprendre les cours. Je saluai Flo' qui me lança : « Et quand t'as fini toutes tes bêtises, petit barde, on se prend un pack et on va sur les quais ! » en s'éloignant. Je lançai mon skate et filais entre les ruelles pour arriver chez moi. En passant à vingt-cinq kilomètres par heure, je pensais ironiquement à l'époque où les skates existaient sans moteur. Tout en faisant un détour par une petite route en hauteur, j'observais le soleil fondre derrière Dubstown. Je commençais à aimer ma vie à nouveau. Même si j'avais peur du retour de Nathanaël dans ma vie. Ma vie commençait à être parfaite. Je chassai tous ces questionnements de ma tête et profita de la vitesse avant d'arriver devant chez moi. En rentrant, je pus voir que mon père avait sorti une bouteille de blanc. Je me déchaussai et rejoignis vite le salon.

Plus tard, dans la nuit, je fus réveillée par un bruit de tentacule. Cuisine, verre de whisky, toujours pas assis sur une chaise.

« Très joli exorcisme, Florian est vraiment doué, lança Garden.

— L'affaire de Luna est du passé.

— Vous en êtes sûr ?

— D'après mes souvenirs, le Béhémoth n'est pas une bête à prendre à la légère.

— Florian est —

— Un dragon, oui, évidemment.

— Un dragon. Mais j'ai peur que ce ne soit qu'un aperçu de ce qui arrive.

— Que l'arrivée de Nathanaël soit dévastatrice ?

— Exactement.

— Il est un ange déchu, une créature suintant les ténèbres. Et pourtant il semble avoir était créé pour l'amour.

— Un véritable Lucifer.

— Le combattre est possible, chanta Garden à la manière d'un Disney. Mikaël ne peut pas affronter le Maelström, mais Mi-K peut le faire.

— Masque contre Masque, la confrontation va être titanesque, haha ! »

Après ces mots je repartis dans un sommeil profond, j'espérais ne pas être trop fatiguée pour faire ma valise le lendemain. Ugajin m'avait dit que j'allais faire plus de concerts désormais, et sûrement des représentations ailleurs que dans la Galerie. J'étais à la fois impatiente et angoissée à l'idée de me produire régulièrement sur scène, allais-je tenir la cadence ? Mon personnage arrivera-t-il à exprimer ce que je souhaite ? Les questions se bousculaient dans ma tête, mais au fond, je savais que j'étais prête. Peut-être qui Mikaël ne l'était pas, mais Mi-K l'étais.

C'est ainsi que j'ai alors dissocié l'artiste de la femme. Cette dissociation fut la conclusion des mutations de mon aberration face aux fracas des autres. J'avais intérieurement grandi. Cette nuit-là, mon art avait enfin pris sa forme finale. L'arme était forgée, un masque qui changeait son porteur en ténèbres et qui changeait les ténèbres elles-mêmes en démons. Métaphores ou non, j'avais développé mon super-pouvoir à moi. J'avais mon propre sort, à l'image de l'absence de cohérence des évènements de ma vie, je devenais un Berserkir, enragé face à son propre démon.