Odeur de clope

Des Monts

 Une fois arrivé dans un appartement qui n'était meublé que du strict minimum, Nathanaël s'asseyait sur le matelas qui lui servait aussi de lit, le dos contre le mur il s'alluma une cigarette. Les mégots, la poussière et les cendres montraient qu'il avait un mode de vie extrêmement malsain depuis quelques jours. Il semblait pourtant propre sur lui. De mon côté je ne savais plus quoi penser. Qui était-il vraiment ? Kvmx était dans un coin de la pièce, toujours ce visage triste. Lorsque mon regard plongea dans le sien, je sentis un froid qui commençait à m'envahir avant que Nath' me tire et me lance « Viens, laisse-le. » En me prenant sous son bras gauche. Il m'expliqua tout. Sans me regarder. Nise était l'ennemi de son père, et lui a volé quelque chose de précieux. Nathanaël avait tenté de le récupérer et malgré son jeune âge, Nise réussit à lui mettre sur le dos toute une histoire de terrorisme sur le dos. Kvmx qui avait été trouvé par Nise par hasard un an après sa conception prit la fuite avec Nath'. C'était le genre d'histoire qui n'arrivait qu'à Charlatown. Lorsque des gens apprirent que Kvmx était en liberté dehors, les gangs ennemis à Nise eurent l'idée de trouver Kvmx pour demander une rançon. Nathanaël décida alors de vouer sa vie à la protection de Kvmx. Cependant, cette fois-ci, l'homme qui avait trouvé Kvmx travaillait pour Mortem Damgaard, le mari de Hirano, un homme influent qui aime acheter les choses « uniques ». Nathanaël, aidé par Timer, finit par retrouver l'homme et récupéra Kvmx. Il avait passé un accord avec le Roi des Copieurs qui lui donnerait les ressources nécessaires pour sauver son fils et empêcherait quiconque le connaissant de pénétrer aux Sirènes. À la condition que Nathanaël le rende à la demeure du Culte du Mauve Œil lorsque Kvmx retrouvera le sourire. Nathanaël glissa à Kvmx les termes du contrat avant de le prendre avec lui. Dans un grand sens du respect des règles, Kvmx décida de ne plus sourire afin de rester auprès de Nathanaël. C'était presque une malédiction.

Le Culte du Mauve Œil avait une fois de plus brisé la vie de Nathanaël. Le seul concept sur terre qu'il voulait garder avec lui quoiqu'il arrive devait n'être désormais que la représentation de la tristesse. Tout ceci n'avait aucun sens pour moi, mais j'arrivais à le comprendre au fond de mon cœur, car je croyais aussi aux aberrations. Car moi aussi j'avais compris que les aberrations n'avaient rien de surnaturel, ce n'était que des mots que l'on donnait aux concepts qui n'en avaient pas. Les aberrations étaient ces choses que le langage humain n'a jamais eu l'idée de traduire. Au final, les aberrations ne sont que des images. Mais auprès de gens qui les attirent, qui les dressent, on peut les voir. Et lorsque l'œil est ouvert, une fois que l'on a vu ne serait-ce qu'un seul de ces monstres, tous les autres semblent apparaître comme s'ils étaient là depuis le début.

Le Culte était cependant mauvais à mes yeux désormais. Car à l'instar de l'artiste qui manipulait son fluide interne pour en ouvrir des portes vers la liberté, les cultistes, eux, l'utilisaient pour forger des barreaux infâmes. Nous demandant d'adorer ces concepts, de respecter chacun de ces ressentis comme s'ils étaient nos parents, sans distinction. Mais sans distinction c'est aussi adorer les démons, ceux que Nathanaël avait juré de chasser pour Kvmx. Nathanaël me dit ceci : « Le problème ce ne sont pas les aberrations, c'est ce qu'elles obtiennent du Culte. Si un jour il venait à dépasser les frontières de Charlatown, le Mauve Œil briserait la vie de trop de gens, il n'a aucun pouvoir magique et pourtant ses fidèles prennent Nise pour un Dieu. »

Après quelques heures de repos pour tout le monde, Timer nous réveilla en entrant dans l'appartement. Il était temps de partir. Laureline nous attendait en bas avec le van. Je n'avais pas fini mes explications avec Nath', mais aucun de nous deux n'était encore mentalement prêt pour une grosse conversation. Pour l'instant je voulais juste me réjouir que tout ça soit fini, mais ce n'était pas le moment, l'ambiance dans le van était morne, toute l'équipe subissait le contrecoup du stress et de la fatigue. Plus personne n'avait envie parler, et la musique était inexistante, seulement régnais le silence.

Quelques heures plus tard, je sortais de la douche, nous étions revenus à la maison et tout le monde dormait à l'appartement, il se faisait tard. J'avais d'énormes cernes et mon regard me semblait quelque peu reptilien. Alors que j'inspectais mes yeux, Nath' rentra dans la salle de bain et me regarda en souriant avant de dire : « Fallait s'y attendre en voulant aller à Charlatown. » Puis se mit à rire en me prenant dans ses bras. Tous les deux face au miroir, c'était la première fois que l'on se regardait comme ça. Que l'on se voyait l'un contre l'autre ! Je pris mon téléphone pour prendre une photo. Mon téléphone afficha quelque chose d'étrange, un pop-up pour une application mobile « Devil Summoner » qui fit faire un bruit de surprise à Nathanaël. Puis je pris la photo. Il me lança : « Un "maelström" alors ?

— Quelqu'un d'autre te l'a déjà dit avant moi ?

— Tout le monde me l'a dit.

— Il se voit plus qu'avant.

— C'est fou ce que notre corps et notre cerveau peuvent sembler ou imaginer tellement de choses mystiques.

— Comment cela se fait-il que l'on voie tous la même chose ?

— La société dans laquelle on vit et nos cultures sont une grosse partie du phénomène.

— Nos influences.

— Ouais.

Il allait repartir, mais je l'attrapai par le bras et lui posa une question.

— C'est quoi mon aberration ?

— Un maelström et un serpent ça ne donnerait pas l'Ouroboros ? Non, c'est con. Ça donnerait juste un serpent qui se noie, ou Léviathan. »

Après ces mots il partit rejoindre son lit. Il faisait mine de divaguer sans réfléchir, mais ses mots étaient toujours pleins de sens.