Durant l'absence de Nathanaël, il fallait que je m'occupe l'esprit pour ne pas sombrer dans le désespoir intense que les dernières révélations de Laureline avaient réveillé. Je continuais d'écrire Ondes Négatives en essayant de rester loin de mon vécu qui n'était pas le meilleur à partager pour le récit. Il était dur de me concentrer, mais je persévérais. Il me fallait du courage pour réussir à ignorer la douleur qui bouillonnait dans mon crâne. J'étais fatiguée. Cela faisait moins de vingt-quatre heures que j'avais quitté Nath' et mon cœur se sentait faucher par différents véhicules démoniaques tentant de me tirer vers l'enfer des larmes. Étrangement, je ne m'inquiétais pas pour Kvmo. Il était tellement différent du reste de l'humanité que je n'avais pas peur qu'il meure, comme s'il était immortel, comme s'il allait très bien s'en sortir. C'était peut-être ça qui m'a empêchée d'être bouleversée par sa disparition, il était un ami pour moi, il était aussi la personne la plus proche de mon bien aimé. D'une certaine manière, il était aussi important pour moi que pour Nathanaël.
Nathanaël semblait tellement souffrir lorsque je suis partie, que me remémorer son visage me faisait mal. Laureline passait de temps en temps pour voir si j'allais bien, sinon elle restait dans sa chambre, la porte grande ouverte — chose qu'elle ne faisait habituellement jamais — et composait quelques mélodies ou regardait des films.
Une entité rampante se trouvait dans l'appartement avec nous, l'Angoisse, cachée dans les coins des pièces. Elle nous observe, nous caresse la nuque de sa longue langue fourchue et n'attends qu'un instant de faiblesse pour nous transpercer avec sa longue longue fourche. Je restais forte, je ne voulais pas craquer, je ne voulais pas perdre à ce jeu. Mais lorsque je ne pensais pas à Nathanaël, je pensais à Mélodie, je me demandais ce qu'elle penserait de ce qu'est ma vie à ce moment-là. Elle aurait peut-être été triste de voir que je suis allée vers la tristesse et le stress. Je ne l'imaginais pas sombrer, il était évident qu'elle avait forcément une vie magnifique depuis notre rupture, car elle ne le mérite pas seulement, elle a toujours su s'éloigner des ténèbres. Ou peut-être est-ce sa pureté rayonnante qui les chasse. Les deux étaient possibles.
Après avoir écrit pendant plusieurs heures, je pus voir que mon portable n'avait rien reçu. Pas un appel, pas un message. C'était long, j'angoissais, j'hésitais à l'appeler. Au même moment, j'entendis Laureline parler à quelqu'un, elle était au téléphone, en un éclair je me retrouvais dans sa chambre. Elle parlait avec une amie, rien de plus. Bien que déçue, Laureline chassa toutes mes angoisses pour en créer une nouvelle en une phrase : « J'en ai marre, on va les chercher. », j'étais mêlée entre stress et soulagement. Elle prit son sac, je fis de même, nous nous sommes préparées rapidement puis nous sommes montées dans le vent.
La route fut courte à l'allure où Laureline allait. Je savais que si je n'avais pas été là, elle n'aurait pas quitté l'appartement, c'était pour moi qu'elle faisait ça. Elle ne supportait pas de me voir ainsi. En quelques heures nous sommes arrivées aux portes de Charlatown, le soleil était couché depuis peu, une fois à l'entrée de la ville, des voitures de police barraient la route. Une fois à leur niveau, Laureline abaissa la vitre et fit signe aux policiers.
« Bonjour madame. Lança le flic d'une voix forte.
— Bonsoir, nous aimerions rentrer en ville.
— Et alors ?
— Et bien comment fait-on ?
— Vous continuez tout droit, madame.
Le policier fronçait les sourcils comme s'il ne comprenait pas où Laureline voulait en venir.
— J'aimerais bien, mais... vous bloquez... euh, la route. Répondit Laureline avec un peu de sarcasme.
— Oui, nous n'autorisons personne à rentrer quand la nuit tombe.
— Donc on fait comment, nous ? On doit rejoindre des gens.
— Et bien ça me semble logique, vous attendez que le soleil se lève. Bonne soirée, madame. »
Laureline contenait ses nerfs. Mais au moment où elle allait faire demi-tour, elle remarqua un petit espace entre la dernière voiture de droite et la rambarde de sécurité. Elle me lança un regard et je lui répondis que c'était une mauvaise idée, qu'une fois là-bas nous n'aurions aucun repère et qu'être recherchés par la police n'était pas utile. Elle fit chauffer le moteur comme pour se préparer à y aller, mon cœur se mit à battre et dans la pénombre du crépuscule, je crus voir les policiers nous sourire, comme s'ils attendaient qu'on le fasse. Pendant un instant je crus reconnaître cet horrible sourire qu'avaient les vigiles. Laureline se ravisa et fit demi-tour. Nous avons rejoint un hôtel qui se trouvait juste à côté en espérant qu'il ne soit pas complet, et heureusement il ne l'était pas.
« Bonsoir mesdames, lança l'homme assis à l'accueil, vêtu d'une chemise noire et dont la calvitie n'était pas uniforme... ce qui était dérangeant.
— Bonsoir, répondit Laureline en même temps que moi. Nous voudrions une chambre pour deux, juste pour ce soir.
— Oh, vous attendez la réouverture de la ville ?
— Euh... oui, répondis-je en le regardant en détail.
Il semblait très jeune et pourtant très vieux, il avait un look plutôt efféminé, mais surtout un regard angoissant. Il donnait l'impression que ses pupilles vertes n'étaient qu'un cercle de tentacules s'entremêlant.
— Charmant, un couple de jeunes filles qui vient visiter Charlatown pour retrouver des amis, ce sont mes clientes préférées. Tenez, voici les clés, et je vous demanderais un petit coup de carte bleu ou de smartphone et vous pourrez rejoindre votre chambre. »
L'hôtel était gigantesque, le bois semblait former une architecture d'église gothique, il avait pourtant l'air banal vu de l'extérieur. Je n'avais pas lu son nom en arrivant, mais il était écrit sur une petite brochure donnée avec les clés : « Le Vrai », un nom curieux pour un hôtel. Cependant il fallait reconnaître que la chambre était incroyable, un énorme lit doux et confortable, une salle de bain entièrement équipée, une télé à écran incurvé et je laisse le lecteur le plaisir de deviner le reste. La chambre était sobre, mais luxueuse. Pourtant, Laureline m'assura qu'elle avait payé une misère. C'était à la fois étrange, mais plaisant.
Après une heure passée à découvrir notre chambre, je décidai de sortir fumer un joint, seule avec ma musique. Laureline me dit que la chambre avait une fenêtre et que l'on pouvait fumer, mais j'insistai pour aller me promener. Une fois en bas, je croisai l'homme de l'accueil, il me lança un grand sourire.
« Vous appréciez votre chambre, Mademoiselle Beriault ?
— Pardon ? Je vous ai donné mon nom ?
— Vous avez fait tomber votre portefeuille tout à l'heure, je m'apprêtais à vous appeler, mais vous êtes apparue, tenez, j'espère que l'on ne vous a rien volé.
— Ce serait fâcheux en effet, rétorquais-je en fouillant, mais heureusement tout était-là.
— Vous êtres là pour rejoindre votre amoureux ?
— Pardon ?
— Vous avez le regard d'une femme qui a peur d'être veuve.
— Vous voyez ce genre de chose, vous ?
— Je vois de nouveaux visages tous les jours, mademoiselle. Je finis par remarquer des similitudes dans les yeux des gens. »
Son regard était tentaculaire, autant par cet étrange mouvement dans ses iris que par sa manière de parler. Je me surpris à penser qu'il était, lui aussi, une aberration. Je me rendais compte que ce concept était peut-être plus vrai que je ne le pensais.
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Odeur de clope
General FictionJe n'ai jamais cessé d'être celle que vous attendiez que je sois. C'était ma seule condition pour accepter de me croire exister. Voilà comment se dépeint Mikaël, jeune fille d'un milieu aisé qui rêve d'art et de passion mais délaisse rapidement le c...