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Une chose m'avait perturbée depuis l'apparition de Lisa dans ma vie, c'était son regard. Il avait quelque chose de royal, il avait quelque chose de perçant. On aurait pu comparer ses yeux aux serres d'un aigle ou d'un faucon. J'ai tout de suite pensé à une aberration, mais c'est le mot « contagieux » qui me mit sur la voie. Je ne pus m'empêcher de lui parler de cette théorie. Elle me dit qu'elle avait entendu dire que c'était une croyance populaire dans le secteur des Sirènes, qu'elle y croyait un peu aussi et qu'elle avait perçu un signe d'aberration dans mon regard. Elle le disait en souriant, je lui demandai pourquoi cela la faisait rire, elle me répondit : « Les aberrations sont bénéfiques malgré leur nom, ça nous motive. C'est peut-être que des conneries, mais c'est comme l'horoscope, tu vois ? ». Je compris que la vision qu'avaient Kvmo et Nathanaël des aberrations était beaucoup plus sombre de ce que les gens pensaient. Avec cette comparaison à l'horoscope, j'étais tout de suite plus rassurée. Ces pensées que je qualifiais de délires s'effaçaient petit à petit de ma tête au fur et à mesure que Lisa les banalisait. Elle avait su me rassurer.

Le soir même, nous étions dans un bar, Lisa, Laureline et moi. J'avais l'impression de déceler une pointe de jalousie chez les deux. La position de Love-Interest était assez agréable. Au-delà de ça, Lisa nous racontait sa vie à Charlatown, c'était incroyable qu'une ville pareille puisse exister. Il y avait des zones de Charlatown où régnât la paix, mais le secteur des Sirènes, lui, était infâme. Meurtres, violence, terrorisme, les quartiers les plus malfamés se trouvaient là-bas. Différents gangs se partageaient les Sirènes, Lisa-Maria les côtoyait tous, son mari et maître était le rempart contre la guerre qui chargeait la ville. Tant qu'il ne cédait pas, personne ne pourrait attaquer, et tout le monde savait qu'il ne cèderait pas, l'homme qui avait dépassé Hirano en termes de pouvoir. Il était respecté et craint, car pour avoir ses faveurs, n'importe quel chef était prêt à lui envoyer des hommes de main. Cela me fascinait de la voir dans un tel milieu. Mais une question me vint à l'esprit : « Pourquoi y a-t-il un terroriste qui se balade alors ? », Lisa me regarda et me répondit : « C'est ça qui m'effraie. Qui peut bien oser attaquer mon homme si violemment que même-moi je ne sois pas au courant de ce qu'il se passe ? » et à ce moment, une nouvelle hypothèse me vint en tête. Je me suis demandé si le barrage n'était pas pour empêcher que le terroriste ne sorte, mais plutôt pour que quelqu'un ne rentre ? Je n'ai rien dit à Lisa ni à Laureline, mais je pensais sincèrement que si Nise pouvait même influer sur la police, il utiliserait toutes les forces disponibles pour arrêter ce « terroriste ». Plus le temps passait et moins je croyais aux choses dites, je me fiais de plus en plus à ma simple intuition et à mes doutes, mon instinct aussi. Pour moi tout ceci était trop étrange pour être logique. Kvmo se fait enlever, Nathanaël va le chercher, et juste après la ville est bouclée, car un terroriste est en cavale. Quand Lisa-Marie, qui est l'épouse de l'homme qui gère cette partie de la ville, décide de rentrer, le barrage de sécurité est prolongé. Qui boucle tout un secteur d'une ville pendant si longtemps sans que l'on en parle dans les journaux ou que l'armée n'intervienne ? Toutes les forces militaires et policières n'étaient déployées que pour boucler les entrées aux Sirènes. Ça n'avait pas de sens. Pour moi Nathanaël était un acteur important de la situation en ville. Je n'avais pas vraiment d'autre point de vue et ne pouvait donc pas imaginer d'autres scénarios. J'étais inquiète.


Après quelques verres, nous sommes toutes les trois rentrées à l'hôtel pour dormir, en espérant qu'à notre réveil nous aurions une solution. J'espérais aussi passer une nuit normale, pour une fois. La fatigue s'accumulait silencieusement et les brèves réjouissances de mes retrouvailles avec Lisa n'étaient pas suffisantes pour masquer la douleur de mes muscles et la somnolence de mon cerveau. Après m'être lavée, je rejoignis Laureline dans le lit, nous étions toutes les deux nues et je m'endormis dans ses bras. Je me jurais intérieurement que je trouverais un moyen de lui rendre tout ce qu'elle m'avait donné jusqu'à cet instant. C'était devenu ma meilleure amie.

Dans la nuit, je fus réveillée à nouveau par ce bruit sourd. Je tournai directement mon visage vers le miroir, mais il était flou, j'étais en plein rêve, je le savais.

Sans crainte cette fois-ci, je sortis de la chambre et me dirigea vers l'ascenseur, sachant pertinemment que c'était l'endroit où je devais me rendre si je voulais que ce rêve soit d'une quelconque utilité. En rejoignant le hall principal, je pus voir Garden Lone Hope qui m'attendait, deux verres de whisky devant lui. Ses yeux brillaient dans la pénombre. Lorsque j'approchai, un orbe de lumière verte sortit du sol comme pour nous servir de lampe. Tout était toujours très vert avec lui.

Alors qu'un tentacule sortit d'un coin pour se courber sous Garden qui s'asseyait dessus, le Patron onirique de l'hôtel prit la parole :

« Bonsoir, mademoiselle Beriault, comment allez-vous ?

— On va dire mieux, et vous ?

— Parfaitement bien, j'ai pu voir que vous venez de recruter un allié de taille pour votre quête.

— Effectivement, ça m'a fait plaisir de la revoir.
— Elle pourrait être la belle-mère de votre bien aimé.

— Pardon ?

— Ne faites pas cette tête, mademoiselle, nous savons tous deux que votre hypothèse allait jusque là.

— Excusez-moi je ne suis pas habituée à parler à quelqu'un dans ma tête.

— Vous êtes devenues un beau Serpent. Si les aberrations n'étaient pas nées à Charlatown, vous seriez Ugajin.

— C'est flatteur !

— Je vous en prie, je ne fais que dire la vérité. Mais j'aimerais éclaircir votre lanterne sur un point. Souvenez-vous de ce que disait Kvmx, n'oubliez pas que les aberrations n'existent que pour ceux qui y croient, et deviennent plus fortes à partir du moment où vous croyez en elles.

— Plus fortes ?

— On ne peut voir les peines des autres, on ne peut que voir leurs interactions avec leurs démons. Nous n'avons qu'une moitié de l'affrontement, alors nous imaginons l'autre. Cette aberration, cette idée qui ne devrait pas être là prend forme au fur et à mesure qu'on l'imagine, mais plus d'y gens y croient autour de la victime, et plus elle agira.

— C'est quelque chose de vraiment mauvais ? Je sais je suis naïf mai...

Il me coupa.

— Pas de naïveté voyons. Une aberration peut être positive, mais la question se pose : doit-on y croire au risque de trouver l'inverse de ce que l'on cherche ? Généralement, les pêcheurs évitent de croire en un enfer, car sinon ils devraient arrêter ce qu'ils font. Mais pour oublier l'enfer ne faut-il pas oublier le Seigneur et son jugement ?

— Je pensais avoir tout compris, mais vous m'avez perdu.

— Allons, vous avez tout le temps d'y réfléchir, cependant, j'ai à faire, passez une bonne nuit, mademoiselle Beriault. »

Odeur de clopeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant