Oliver m'annonça pendant que nous étions dans sa voiture qu'il avait une surprise pour moi. Suite aux évènements de la forêt, le projet du livre avait été mis en suspens ce qui brisa la patience de l'éditeur et lui fit annuler le projet. Après ça, Oliver tenta quelque chose d'audacieux, mais qui apparemment avait marché. Nous étions en chemin pour rencontrer la personne qui était mon potentiel nouveau éditeur. En général je n'aimais pas les rendez-vous avec les professionnels du monde de l'édition, je ne me considérais pas comme un commercial et détestait devoir me vendre. Devoir montrer que j'étais motivée et confiante sur la qualité de mes écrits m'était désagréable, j'aurais préféré ne pas avoir à le faire, cependant comme le disait Oliver, je n'avais pas le choix si je voulais devenir célèbre un jour.
Sur le trajet nous avons parlé de Belle, elle était retournée en Australie et m'en voulait pour ce que j'avais infligée à nos parents et m'avait trouvée égoïste. Elle ne comprenait pas pourquoi j'avais fait ça malgré tout l'amour qu'elle me portait. Je n'étais pas vexée, je m'attendais à cette réaction de sa part. Elle, qui était loin du monde des aberrations, ne cherchait pas à trouver une explication à chacun de ses doutes et laisser plutôt parler ses émotions primaires. D'une certaine manière je l'enviais. J'aurais aimé être capable de me contenter de ce que je ressens, de ne pas vouloir trouver de réponses qui me contentent à chaque fois que quelque chose me déplaisait.
Il y a du négatif dans chaque point de vue. Seul un être à la conscience universelle peut se retrouver sans défauts. Je n'en étais pas un, Belle non plus. Personne ne l'était, du moins à ma connaissance. Certains pourraient dire que ma vision était meilleure, que mon analyse constante de tout ce qui m'entoure est une bénédiction, que ça me permet de prendre du recul sur les choses, et d'autres choses du genre. Cependant je n'étais plus capable de faire les choses simplement. Parfois je me demandais même si mes choix étaient dus à ma propre volonté ou s'ils étaient le résultat d'occultes calculs me permettant de prendre le chemin qui me fera le moins de mal. Il m'arrivait même souvent de me rendre compte que certains de mes choix ne correspondaient pas du tout à qui j'étais vraiment qu'ils étaient justes ce qui me permettrait d'atteindre plus rapidement mes objectifs. C'est une manière de réussir, mais elle n'est pas sincère à mes yeux. Je n'étais pas sincère à mes yeux. Belle l'était. Il lui arrivait de se tromper, il lui arrivait de prendre le mauvais chemin, mais elle s'en sortait toujours, car elle était sincère, car elle était spontanée, car elle était égoïste. Égoïste de la bonne manière. Quelle est la différence entre le bon et le mauvais égoïste ? Le mauvais égoïste l'est trop ou pas assez, dans les deux cas il finit par blesser les gens autour de lui. Soit parce qu'il sacrifie les autres, soit parce qu'il oblige les autres à accepter son sacrifice. Le bon égoïste, lui, fera juste en sorte d'être en paix avec sa vie. Si les gens tentent de prendre le dessus sur lui, il partira, si les gens donnent trop de leur personne pour sa réussite, il partira. Le bon égoïste n'aime pas qu'on l'idolâtre comme un Dieu et ne sera jamais esclave. Belle était un bon égoïste.
Alors que la voiture se dirigeait finalement vers une zone de Dubstown que je connaissais très bien, j'interrogeai Oliver sur la nature de son contact. Il ne me répondit que par un geste destiné à me dire d'être patiente, en souriant. Une fois garés, nous y étions : La Galerie Hirano.
« Un artiste de chez Hirano ? demandais-je. Mais bordel t'as grave gèré !
— Faut bien que je mérite mon salaire, non ? répondit Oliver en riant. Ce n'est pas n'importe quel artiste. Là, on a affaire avec l'un des meilleurs.
— Attends, c'est qui ? Ne me dis pas que c'est la reine du marketing Elisa Damgaard ?
— Alors non, je n'ai pas ses contacts, mais tu ne seras pas déçue pour autant. Du moins, je l'espère. »
Cela faisait tellement longtemps que je n'avais pas approché la Galerie Hirano que j'en tremblais presque. Cette église artistique, ce temps de l'esthétique, même si j'avais donné toute mon âme et mon sang dans Ondes Négatives. Je n'aurais pas pensé mériter le droit de me tenir dans ce lieu avec pour objectif de rejoindre les Princes. C'était un lieu sacré. Et les œuvres qui sortaient des ateliers se trouvant au-dessus et en dessous de la galerie étaient considérées comme des armes pouvant potentiellement changer le cours d'une vie, voir même de l'histoire. Et même les œuvres qui échouaient dans leur quête étaient élevées au rang de légendes, car il n'existait que très peu de disciples d'Ikumi qui avaient le courage de produire quelque chose qui ne la satisferait pas. Certains pourtant avaient osé. Mais les enseignements de la Reine Hirano était si grand, que même la décevoir pouvait être un échec. Sinclair disait souvent : « Lorsque l'on signe avec Hirano, c'est comme signer avec le Diable. Peu importe ce que tu tenteras, tu finiras toujours par te rendre compte que tu as fait exactement ce qu'elle voulait. », et c'est aussi pour ça qu'elle était respectée. Elle était capable de lire le cœur d'un artiste et de le guider vers la voie qui le fera briller. Et si l'idée de prendre le chemin inverse vous effleure l'esprit, c'est que cela faisait partie de son projet pour vous. Elle n'était pas appelée la « Reine de l'Art » pour rien. Ikumi était une légende au même titre que les dragons ou les licornes, de nombreux reportages ont été faits à son sujet, mais aucun n'arrivait à une conclusion permettant de la comprendre. Derrière son visage de trentenaire japonaise se cachaient des mécanismes quantiques qui agissaient d'une manière incompréhensible pour l'homme. Elle était, pour certains, une incarnation divine. Et lorsque l'on demandait aux artistes ce en quoi consistait la voie que leur montrait Ikumi, tous interprétaient, mais aucun ne savait expliquer factuellement ce qu'elle faisait. Sinclair avait une hypothèse : celle qui dirait qu'Ikumi, sans prévenir, réveillait certaines parties de l'esprit de l'artiste aux moyens de mots et d'images subtiles qu'aucun n'était capable de déceler. Elle possédait beaucoup trop de compétences pour savoir jusqu'où elle pouvait aller.
Mais j'allais bientôt l'expérimenter à mon tour. Face à elle qui nous attendait, droite, neutre se mit à sourire. Alors que les coins de ses lèvres s'approchèrent très légèrement du centre de ses joues, je sentis une sorte de force si imposante que je ne pus que pleurer en m'excusant. Je ne savais pas encore si je venais d'atteindre le paradis ou si je retournais en enfer.
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Odeur de clope
General FictionJe n'ai jamais cessé d'être celle que vous attendiez que je sois. C'était ma seule condition pour accepter de me croire exister. Voilà comment se dépeint Mikaël, jeune fille d'un milieu aisé qui rêve d'art et de passion mais délaisse rapidement le c...