La Naissance et L'Idéal

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 Ce que l'Occidental a oublié, c'est la beauté de l'ombre. C'est l'art de l'âge. C'est l'esthétique de l'imparfait. Oeuf se craquelant aux auras verdâtres. Du sang coule des fissures qui s'étendent sur la coquille. J'estimais avoir déjà perdu. Puis un bras brisa son abri se tendant comme pour atteindre le monde. Malheureusement la terre était si loin, était-ce la terre ? Ça n'y ressemblait pas. Alors le bras rentra au fond de sa capsule brisée. Puis deux bras percèrent les parois de l'œuf et s'allongèrent, s'allongèrent si loin. Si loin qu'ils atteignirent la terre. La terre ou n'importe qu'elle autre planète. Les deux mains qui étaient devenues gigantesques se mirent à broyer le monde et leurs veines gonflaient par moment comme si ces mains mangeaient. L'œuf avait un sourire, et seule la peur me venait à l'esprit. Des veines se formaient sur la coquille, rouge et verte. Il continuait de manger en souriant. Puis l'œuf se mit à fondre et les bras aussi, cette boue beige vint formait un tas de vers avant de se changer en deux serpents. L'un Blanc, l'un brun, ils se nourrissaient d'eux même. Cette folie sanglante et informe ressemblait à ce que nous aurions pu voir si nous étions nés en enfer. Petit à petit le sang qui giclait des deux bêtes se changeait en fumée, et ce qui devenait imperceptible derrière le voile finissait par revenir de nouveau changé en cette bouillie beige. Lorsque les serpents furent complètement changés en cette matière alien, l'amas gluant format un œil.

Ma première sensation fut cette chaleur qui monte quand la haine nous prend. Mais je fus vite calmée, ce n'était pas le Mauve Oeil, non, c'était un œil plus grand. L'œil d'un cyclope. Grand, appartenant aux ténèbres de la planète dont il couvrait une surface généreuse, il fixait l'univers. Les roches claquèrent provoquant un séisme sur toute la planète, elles claquèrent deux fois. Alors une planète s'éteignit aux alentours. Les roches claquèrent à nouveau, une seule fois. Une planète s'approcha du cyclope et il la mangea. Les roches claquèrent, à un rythme irrégulier. Parfois une fois, parfois deux fois. Et les planètes s'éteignaient ou se faisaient dévorer. Le Cyclope finit par sortir de sa prison minérale. Il tourna son regard vers moi. Son sourire. J'étais entravée par les ténèbres, je les sentais brûlantes et gluantes, corrosives. Le Cyclope et sa couronne d'acier, derrière lui, un archipel se dessinait, comme une constellation. Le Cyclope voulait me dévorer. Le Cyclope. Le vrai Roi. Je n'étais rien face à lui, rien de véritablement important. J'étais une miette de son repas cosmique. Le Cyclope, l'œil des yeux, l'œil de Dieu. Il n'y avait rien dans son iris, car nous étions le concept même de son pouvoir. Le Cyclope était aveugle. Le Roi était aveugle. Mais il voyait à travers moi. Le Roi voyait à travers les étoiles. Les ténèbres finirent par me recouvrir complètement. Mais le Roi Cyclope tendit sa main, tandis que l'archipel devenait son armure et il me sortit du noir. Il m'en sortit pour me jeter dans sa pupille. Il y jeta les météores, les soleils, les étoiles, les galaxies et il recouvra la vue au prix de la vie. Alors s'achevait la naissance. Et pendant un instant, dans l'ombre du vide, je crus apercevoir l'œuf et son sourire.

Le Roi était maintenant un jeune adulte. Il venait de se réveiller dans les ténèbres de sa chambre et arracha les rideaux noirs pour chasser les angoisses de sa chambre. Il fit tourner tourner le globe et s'arrêta sur l'Afrique deux fois. Après cela il courut dissimuler un bras sous le bouclier de son papa. Il le dit à sa mère et sa mère ne le répéta pas. Puis les parents du Roi partirent prendre l'avion, le Roi était seul. Puis un livre s'ouvrit et une épée en sortie. Le Roi prit l'épée et l'épée se changea en fille, elle lui fit un baiser sur le front puis la fille s'est envolée. Le Roi parti donc voir sa mère, et sa mère lui donna une couronne. Le roi prit la couronne et s'en alla la lancer dans le lac. Le lac se réveilla et fit sortir une armée de poissons qui nagèrent dans toute la ville. Le Roi surfa sur les vagues et retrouva la couronne en tuant le roi des poissons.

L'eau s'évacua par les portes de la salle et je retombai, humide et tremblante d'un autre univers. Narcisse avait les yeux qui se révulsaient de plaisirs et Janvier était tellement vidé de toutes énergies qu'on aurait pu le croire mort. Mon maquillage avait coulé, j'étais mentalement fatiguée, mais je tenais encore debout, du moins, je me suis facilement relevée.

Ugajin ne souriait pas. Il avait été sincère, il n'a rien voulu enjoliver, il n'a rien voulu déformer. Je me suis alors inclinée en le remerciant.

« Je vois que même les démons ont du respect, me lança mon jeune maître en laissant transparaitre un signe d'approbation.

— Tu m'as montré l'étendue de ton pouvoir créateur sans m'en cacher une seule subtilité, tu m'as donné ta confiance, je te suis reconnaissante. C'est tout.

— Non, arrêtés, c'est trop pour mon cœur, cria Narcisse. Magnifique confrontation cosmique, Mi-K tu ne peux me décevoir !

— Silence, ordonna Ugajin, Mi-K, mon apprentie, montre-moi ce que tu as retenu de cette leçon. »

Un jour, Nathanaël m'avait dit que l'art commençait dans la copie. Qu'il fallait voler aux autres pour créer ! Que l'art était une contagion, mais que le seul moyen de l'attraper et de sucer le sang d'un malade ! Ce vampire. Ayant plongé dans les aberrations, je n'étais capable de briller autant que Ugajin aurait pu le faire. Cependant, face aux ténèbres, j'ai largement plus de vécues que lui, mon histoire et son apprentissage, j'avais le mélange parfait pour prouver ma puissance. Je n'espérais pas le vaincre, mais je comptais au moins le faire douter. C'était le plus grand moment de ma vie. L'apogée de mon existence. C'est à ce moment-là que ma vie commença son dernier chapitre.

Odeur de clopeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant