Le travail d'une vie (partie 1)

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Une fois cette intense discussion terminée, il fallait néanmoins que je retourne au travail. J'avais fait promettre à Miss Hampton que même si j'acceptais le poste à l'université je pourrais continuer à suivre mes affaires en cours.

Le sujet qui me préoccupait aujourd'hui était des plus difficiles. David Keywast... Ce jeune garçon âgé d'à peine quinze ans avait tenté de voler dans la caisse du magasin où je lui avais justement trouvé un emploi de réinsertion, après qu'il ait passé dix-huit mois dans un centre de détention pour mineurs. Pour cela, j'avais été assistée par un avocat qui coûtait une fortune, mais qui était talentueux dans son domaine.

Sa mère avait disparu voilà plus de dix ans, et son père avait cru bon d'apprendre à son unique fils comme survivre dans la rue... à sa manière... Silas Keywast était un criminel en puissance. Chef du gang des Sharks, il avait fait sa place dans le commerce de cocaïne. Cependant son fils n'était pas aussi doué que lui pour se cacher des forces de police et rester discret quand les choses tournaient mal. Un jour où il aidait son père et plusieurs de ses sous-fifres à charger une nouvelle cargaison à l'arrière d'un van, les services d'intervention débarquèrent en grand nombre. Au lieu de protéger son fils unique, Silas avait préféré prendre la fuite. David avait une arme et avait tiré sans vraiment savoir ce qu'il visait, puis il s'était fait arrêté. J'avais réussi à lui obtenir dix-huit mois de détention dans un centre pour mineurs en arguant le fait que ce pauvre garçon n'avait pas vraiment eu le choix quant à sa destinée. Il fallait lui laisser une chance de faire ses preuves. Son père avait été tué en pleine descente de la police neuf mois après l'arrestation de son fils. David ne l'avait jamais digéré. Il n'était pas là pour défendre son père et c'est l'unique chose qui le hantait jour et nuit. J'étais impressionnée par la loyauté qu'il vouait encore à cet homme malgré toutes les choses horribles qu'il avait dû faire pour lui...

Quand je lui avais proposé ce poste dans un petit supermarché du centre de Manhattan, j'avais cru qu'il pourrait s'en sortir et revenir à une vie saine, mais c'était mon côté trop idéaliste qui m'avait aveuglé.

J'allais devoir lui rendre visite en détention et j'avais insisté pour être sa conseillère juridique. Je pris mes clés et sortis dans le froid hivernal new-yorkais. Mes joues me brûlaient tellement le vent était glacial et mes doigts étaient congelés. Je remontais mon écharpe sur mon visage et entrepris de monter dans ma petite voiture qui avait au moins le double de mon âge. Cependant, elle fonctionnait et me permettait d'être indépendante : pour moi, c'était l'essentiel.

Il me fallut un certain temps avant de rejoindre le poste de police où était détenu David car la circulation était dense en pleine journée à Manhattan.

On me fit entrer dans une petite salle à la décoration minimaliste. Seule une table et deux chaises remplissaient la pièce. La lumière verdâtre éclairait à peine les lieux et je ne parlerai pas de l'odeur qui y régnait. On sentait la déchéance, la misère et la désolation.

J'entendis des chaînes cliqueter et la porte s'ouvrit. Une petite tête blonde baissée, honteuse, passa en premier, suivie de près par deux policiers. Quand David releva la tête je ne vis que du vide. Son regard ambré avait perdu tout son éclat et il n'était qu'un des nombreux enfants que j'avais vu s'effriter petit à petit : une âme en peine, qu'on ne pouvait sauver selon le système, et broyé par l'administration. Quand il croisa mon regard, il baissa tout de suite la tête. Les deux policiers lui enlevèrent les menottes et le firent asseoir sur la chaise en face de moi. Il était abattu, brisé et cela me fendait le cœur. Toute force vitale semblait s'être échappé de son corps.

« -       David ? Comment te sens-tu mon grand ? »

Il haussa les épaules, sa tête toujours baissée. Il n'osait pas affronter mon regard. Je décidai d'adopter l'approche qui avait permise qu'il me laisse entrer dans sa vie :

May It BeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant