La jeune femme ne cilla pas. Elle continua de soutenir mon regard. Si elle voulait jouer à ce jeu, elle avait trouvé une adversaire de taille, car les adolescents que j'aidais m'en avaient fait voir de toutes les couleurs. Néanmoins je ne pensais pas que des personnes à qui je proposais mon aide puissent me manifester autant de rejet. Certes, je ne m'attendais pas à une ovation à mon arrivée mais leur manière de me traiter était tout à fait inacceptable. Il fallait que cela change, et vite, sinon ce serait trop tard...
Je décidais de changer de tactique :
« - Écoutez, j'aimerais vraiment que cette année se passe bien pour vous. Cela me rendrait heureuse de pouvoir vous apporter mon aide et mon expérience. Mon métier me tient vraiment à cœur et je souhaiterais vous le faire partager.
- Merci, mais non merci... Les adolescents qui se droguent, volent ou pire tuent et qui après espèrent être innocentés, alors qu'ils ont commis des crimes, ça ne nous intéresse pas. Ils vivent en croyant que le monde peut leur offrir quelque chose alors qu'ils ne font strictement rien pour l'améliorer. Franchement, des camés qui prennent leur dose derrière les poubelles des immeubles : très peu pour moi. Ce sont des déchets, rien d'autre, et il faut qu'ils comprennent que ce n'est pas parce qu'ils vont pleurer dans les jupons d'une mère de substitution, soi-disant super douée, qu'ils vont s'en sortir. Moi, votre métier me fait pitié. Allez les mecs, on se casse... »
Cette fois, la personne qui avait parlé n'était pas une fille, il s'agissait d'un garçon, très grand, et surtout très fort. Il avait une coupe en brosse et était vêtu d'un magnifique costard de marque. On l'aurait facilement pris pour un riche homme d'affaires new-yorkais. Il faisait sans doute plus âgé qu'il ne l'était réellement, mais il semblait être le chef du groupe, et la façon dont il avait défendu la jeune femme blonde me laissait penser que je ne pourrais rien en tirer. Il s'était approché de moi à grandes enjambées et ses yeux marrons m'avaient dévisagé avec dégoût et condescendance. Il m'avait presque craché ses paroles à la figure. Je ne comprenais pas ce qu'ils me voulaient. Je n'avais pas dit mon dernier mot :
« - Si vous passez cette porte c'est votre moyenne qui en pâtira...
- Pitié ne vous rendez pas plus ridicule que vous ne l'êtes déjà – Le géant passa la porte suite à cette insulte, tout de suite suivi par dix autres étudiants –
- Même les camés ont plus de prestance que vous en ce moment. Franchement je ne vois vraiment pas ce que j'ai pu vous faire pour que vous me traitiez ainsi... ».
Mince, au moment où j'avais prononcé cette dernière phrase, je savais que j'avais fais une erreur magistrale : montrer une faiblesse. Mais quelle abrutie ! Je me sentais tellement ridicule. J'étais intimidée par une bande de gamins qui n'avaient pas connu le dixième de ce que j'avais pu subir. Comment en étais-je arrivée là... Les dernières paroles que j'avais prononcées étaient finalement plus pour moi que pour eux.
Encore sous le choc, je sentis une forme imposante derrière moi. On me glissa soudain quelques mots à l'oreille qui me firent trembler de surprise : « ne jouez pas la victime, ça ne vous va pas très bien ». C'était le garçon aux cheveux d'ébène. Son regard était aussi saisissant que sur le parking, mais il paraissait désabusé, fatigué. Après m'avoir dit cette phrase, il me dépassa lui aussi et sortit de la salle en rejoignant les autres.
Je regardai les trois élèves qui restaient dans la salle : deux filles et un garçon. Tous baissaient la tête et paraissaient avoir honte de l'attitude de leurs camarades. Je soupirai. Cette première journée était une catastrophe.
Je rejoignis le tableau et tentai de reprendre contenance face aux trois étudiants qu'il me restait. Il fallait que je dise quelque chose, n'importe quoi, pourvu qu'eux aussi ne s'en aillent pas.
« Bon... puisqu'il ne reste plus que nous, je suppose que la classe va être plus facile à tenir... J'aimerais bien savoir votre nom s'il vous plaît ? ».
Je portai mon regard d'abord sur les deux jeunes femmes au premier rang. L'une d'entre elles était vêtue d'un simple jean, bien trop grand pour elle, et d'un tee-shirt à l'effigie de l'université. Ses cheveux blond cendré étaient attachés en un chignon à moitié défait, et elle n'arborait aucun maquillage. Ses yeux bleu roi étaient soulignés par de grandes cernes et son teint était cireux. Elle ne paraissait vraiment pas en bonne santé. Au début je crus que j'allais, encore une fois, n'avoir aucune réponse, et que j'allais devoir me débrouiller pour dire au professeur Harold que je ne pouvais pas faire ce qu'il m'avait demandé, mais la langue de la jeune femme se délia :
« Mon nom est Rose Karastov. J'ai 23 ans et je souhaite devenir avocate, comme mon père ». Une fille qui suivait sagement les traces de son paternel... Cela me remémorait une époque que j'avais vécu mais qui était aujourd'hui révolue.
La deuxième jeune femme était asiatique. Elle était coiffée d'un carré strict et son visage était pratiquement entièrement caché par de grandes lunettes aux contours bleu foncé. Elle aussi se présenta :
« Je m'appelle Tiffany Yuan et ma famille vient de Hong-Kong. Ça ne fait que cinq ans que nous habitons New-York et que nous avons débarqué aux États-Unis. Mon père est ingénieur en aérospatial et ma mère est diplômée d'un doctorat en mathématiques. Je souhaite exercer le droit car je déteste le métier de mes parents et qu'il n'y avait pas d'autre opportunité à part la médecine. D'ailleurs, j'ai barré le fait d'être médecin de mes projets puisque j'ai la phobie du sang et j'ai des tendances hypocondriaques ».
Je ne m'attendais pas à une réponse aussi spontanée et franche mais je n'étais plus à cela près pour ce qu'il s'agissait de l'imprévisibilité de ma journée. Au moins, ces deux jeunes gens acceptaient de me parler et de répondre à mes questions.
Le jeune homme avait gardé les yeux baissés. Il était maigre et semblait apeuré. Et moi qui pensais que j'étais la seule à être morte de trouille. Je l'encourageai en le fixant avec compassion mais il ne daigna pas lever la tête.
« Il s'appelle Jacob Hershell ». C'était la jeune asiatique qui avait répondu à sa place. Elle continua d'ailleurs sur sa lancée : « Depuis que je le connais il n'a jamais prononcé un mot mais ne vous inquiétez pas c'est un élève brillant. D'ailleurs c'est le plus jeune d'entre nous, il n'a que 19 ans ».
J'observais Jacob et ce que je vis dans ses yeux et sa manière de se tenir sur sa chaise me laissaient penser qu'il souffrait. Mais je n'avais absolument aucune idée de l'origine de son mal-être. Ses cheveux châtains descendaient sur son front et dans son cou. Ses yeux étaient d'une jolie teinte caramel et ses traits étaient fins. Il aurait pu être un très beau jeune homme mais tout en lui respirait le désespoir. Mon instinct de protection avait envie de savoir ce qui le tourmentait pour pouvoir régler ses ennuis, et faire apparaître dans son regard un nouvel élan de vitalité. Je détachai mon regard de ce pauvre homme pour ne pas le déstabiliser et entrepris d'annoncer à mes élèves le thème de notre séance. Le problème c'est que je n'avais aucune idée de ce que je devais faire et le fait d'avoir été abandonnée par les trois quarts de la classe ne m'aidait vraiment pas.
Je leur dis donc de s'en aller et leur donnai l'excuse que je ne pouvais pas commencer mon cours quand plus de la moitié des élèves censés être présents ne l'étaient pas.
Une fois seule dans la vaste salle de classe, je me laissai aller et versai quelques larmes que j'entrepris immédiatement d'essuyer. Il ne fallait pas que je capitule, je devais me battre ! Néanmoins, j'avais l'impression d'être abandonnée face à une armée bien décidée à me détruire.
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May It Be
Mystery / Thriller"Prix de l'Histoire la plus Innovante" au concours des Wappies (Wappies Award - Édition 3) Gagnante "The Story of 2019" (WattyContestFR) Elena est une jeune new-yorkaise de vingt-cinq ans. Diplômée en sciences criminelles comparées en France, elle a...
