Le plan machiavélique (partie 2)

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TIFFANY

Elle n'avait rien dit. Ni à Princeton, ni à Elena. Il fallait qu'elle s'assure que ce qu'elle avait vu parmi les documents classés secrets de la CIA, était avéré. Quand elle rentra chez elle, la jeune femme s'empressa d'aller remettre tout son matériel dans l'armoire prévue à cet effet. L'appartement était spacieux et ses parents n'avaient pas voulu qu'elle quitte le domicile familial. Tiffany avait souvent l'impression d'être une marionnette dont on faisait absolument ce que l'on désirait.

Étant fille unique, elle n'avait pas eu beaucoup de distractions quand elle était plus jeune. Comme elle avait été diagnostiquée précoce, sa mère avait tout fait pour qu'elle aille dans les meilleures écoles, qu'elle ait les professeurs les plus sérieux et surtout, qu'elle soit envahie d'activités extrascolaires. Pour sa génitrice, c'était un moyen de développer l'esprit d'une femme. Pour Tiffany, cela avait été tout simplement de la torture psychologique. Certes, elle savait jouer de sept instruments de musique différents, connaissait les œuvres des plus grands auteurs sur le bout des doigts, elle avait même remporté plusieurs concours de physique. Tout cela semblait si fade à Tiffany maintenant.

Son père était assis sur l'un des fauteuils modernes de leur salon. Il se trouvait en contrebas par rapport à la cuisine. Il donnait, comme tous les grands appartements new-yorkais, sur une vue imprenable de Manhattan. Tiffany avait horreur de cela. Elle se sentait observée et se disait que si on voulait les assassiner, il suffisait de poster un tireur d'élite dans l'immeuble d'en face. Les vitres n'étaient pas blindées, ce serait tellement facile.

- Fùqīn (père en chinois) ?

- Oui, Wǒ de xiǎo nǚhái (ma petite fille) ?

Tiffany réfléchit à la meilleure des manières pour aborder le sujet délicat qui lui brûlait les lèvres.

- As-tu déjà traité dans tes affaires avec un certain Mr. David, Nicolas pour être précise ?

Cette fois, le père de la jeune asiatique releva la tête, suspicieux. Il abaissa ses petites lunettes rondes sur son nez et regarda son unique fille, droit dans les yeux. Tiffany se sentit mal à l'aise et aurait voulu disparaître six pieds sous terre. Elle détestait poser des questions indiscrètes et, surtout, quand il s'agissait des affaires de son père. Quand il lui demandait de craquer certaines boîtes étrangères, pour télécharger leur dernier programme, elle s'en fichait. Pour elle, tant qu'il n'y avait pas de victime baignant dans du sang, elle s'en contentait. Mais là, de ce qu'elle avait aperçu des affaires dans lesquelles trempaient Nicolas David, elle avait peur.

Le père de Tiffany était grand et mince, ses jambes longues se déplièrent et il déposa le journal qu'il était en train de lire sur la table basse. Quand il se releva, il s'approcha à pas de géant jusqu'à son unique fille.

- Qui t'as raconté tout cela ? Parle !

Tiffany n'avait jamais vu son père comme cela. Il n'était certes pas ce que l'on pourrait appeler un père chaleureux, mais jamais il ne lui avait donné d'ordre aussi menaçant. Ses yeux noirs la fixaient avec insistance et colère et tout son corps était secoué de spasmes. Visiblement elle avait touché un point sensible.

- Je... J'ai fouillé dans certains dossiers de la CIA.

Autant lui dire la vérité. Tiffany n'avait pas l'habitude de mentir à son père et elle ne pensait pas qu'il était un meurtrier en puissance.

- QUOI ? Mais pourquoi ? pour qui ?

À présent, son père était au bord de la crise de nerfs.

- Papa... Calme-toi. Je l'ai fait pour une amie et ce n'est pas comme si nous étions clean comme l'eau de roche tous les deux. On a fait bien pire, tu ne pourras pas me contredire là-dessus.

Son père acquiesça mais n'en restait pas moins énervé et stressé. Il transpirait l'angoisse et il s'en alla chercher un verre dans la cuisine qu'il remplit d'eau. Il but d'une traite le liquide et se resservit.

- Ce qui me chiffonne c'est que tu sais que je retiens tout. J'ai une mémoire photographique.

- Viens-en au fait Tiffany.

- Je sais que tu as déjà vendu des armes assez sophistiquées grâce à tes connaissances en ingénierie et en physique et...

- Abrège Tiff !

- As-tu fabriqué une bombe qui a atterrie sur la demeure d'un certain Andreï Arazov il y a treize ans ?

La jeune asiatique savait déjà la réponse. Elle avait reconnu le numéro de série de l'arme. Elle était sûre qu'elle faisait partie d'un des lots récupérés, il y a cinq ans en Russie, pour être revendus à une milice afghane. Cela ne pouvait pas être une coïncidence.

C'est la réaction statique de son père qui lui fit le plus peur. Il ne disait rien, son allure restait stoïque et il était étrangement calme à présent.

Il releva la tête vers sa fille et lui adressa un regard énigmatique.

- Tu dois oublier le nom de Nicolas David Tiffany. C'est un être sans foi ni loi et s'il apprend que tu t'intéresses à lui, il te prendra dans ses filets et s'en sera fini pour toi ! Ne t'approche pas de ce monde Tiff, il faut que...

- Non mais je rêve ! Papa poule est de retour ! Tu sais combien de lois tu m'as fait franchir pour ton business ? C'est maintenant que tu me dis de faire attention ? Ça fait des années que tu nous mets tous en danger dans cette famille ! Je te demande une chose Papa, c'est au moins de me respecter et de me dire la vérité. TOUTE la vérité.

Tiffany ne pensait pas s'énerver ainsi mais là c'était le pompon ! Son père qui la mettait en garde, elle en aurait presque éclaté de rire si elle était dans un film.

- Je n'ai pas eu le choix. Quand tu tombes dans le commerce de Nicolas David, tu ne peux pas t'en sortir comme ça. Les choses ne sont pas si simples...

- Réponds à la question que je t'ai posé papa ! je ne veux pas de tes excuses.

- Tu le sais Tiffany

- J'ai besoin de l'entendre de ta bouche.

Son père inspira un grand coup et rencontra le regard inquisiteur de sa fille.

- Oui c'est moi. J'ai fabriqué cette bombe. Il s'agit d'un modèle unique. Il fallait que personne ne survive et Nicolas David avait besoin d'un outil perfectionné, intraçable et contrôlable à une grande distance. Il avait entendu parler de mes exploits pour la création d'armements de pointe et il a fait appel à moi.

- Et tu as accepté un chèque en or en échange de tuer des innocents.

- Ce sont tous des criminels dans ce monde...

- Sais-tu qui tu as tué exactement ?

- Je n'ai pas demandé de détails. J'ai...

- Des enfants et leur mère !

Tiffany avait hurlé cette dernière phrase. Elle était révulsée, horrifiée. Son père était un meurtrier. Toutes ces années, elle s'était voilée la face, elle s'était mise la tête dans le sable, et maintenant qu'elle y voyait plus claire, sa vie n'avait absolument plus aucun sens. Elle avait été complice d'un criminel, un assassin, une ordure.

La jeune femme se dirigea vers sa chambre à grands pas suivie de près par son père, qui tentait de s'expliquer. Comment se justifier d'un meurtre ?

Elle prit une valise qui trainait au-dessus de son armoire et la remplit le plus rapidement possible. Elle ne prit que le nécessaire. Pendant qu'elle s'activait, son père la suppliait de le comprendre et de ne pas faire de bêtises, qu'elle était en danger. Au bout d'un moment, son ouïe disparue d'elle-même. Elle referma la valise et tira un trait sur la vie qu'elle avait mené jusque-là. Si elle montrait rarement ses sentiments, pour une fois elle pleurait à chaudes larmes. Elle claqua la porte de l'appartement et entreprit de s'enfuir de ce monde d'horreurs.

May It BeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant