VERASa petite fille, la prunelle de ses yeux, était devenue une étrangère, un être qu'elle ne comprenait plus. C'était de sa faute, elle l'avait poussé dans la noirceur du monde contre son gré. Comment aurait-elle pu deviner qu'elle n'était pas la seule à avoir survécu à l'explosion. Pendant des mois elle était restée à l'hôpital en convalescence, la peur et le désespoir avaient pris possession d'elle jour après jour. Elle ne trouvait plus aucune raison de vivre, son mari avait disparu, ses enfants avaient été dévorés par les flammes, que lui restait-t-il ? Quelle autre solution se présentait à elle à part attendre la douce délivrance de la mort ? C'est un vingt-cinq décembre que son esprit s'illumina. Il lui fallait un but, une mission, un acte qui aurait du sens. Vera voulait faire honneur à la mémoire de son mari et la seule solution qui s'offrait à elle était de s'occuper de cette petite Elena, faire en sorte qu'il ne lui arrive rien. Pendant toutes ces années, elle avait vu cette fillette se transformer en une jeune femme accomplie, pleine de compassion et de tendresse. Quelquefois elle retrouvait, dans les expressions d'Elena, des traces de sa défunte fille Irina.
Cependant, à ce moment-là, dans cet entrepôt, la foudre s'était abattue sur elle trois fois. La première fut quand elle revit sa fille, elle avait même cru à une hallucination due à son immense fatigue. Le deuxième éclair l'avait transpercé quand elle avait découvert que le maître d'orchestre du plan machiavélique n'était autre qu'Irina elle-même. Enfin, le coup de grâce lui avait été porté par la révélation sur la mort de son mari. Elle savait qu'il avait été assassiné sous les ordres de Nicolas David, mais ce qu'elle ignorait en revanche, c'était que c'était Agnès qui lui avait ôté la vie. Lui qui voulait la sauver, elle et sa fille, Vera ne pouvait y croire...
À cet instant, elle se souvenait de ce qu'avait dit Andreï une fois à Irina quand elle n'avait que six ans. Elle avait, sans faire exprès, en se déguisant, déchiré une de ses chemises qu'elle avait tenté de recoudre maladroitement. Ce vêtement était le seul objet qui lui restait de son père et il y tenait beaucoup, Irina en avait été dévastée et n'osait plus sortir de sa chambre. Elle pleurait encore à chaude larmes quand Andreï s'était agenouillé devant elle et de son index lui avait soulevé le menton pour l'obliger à le regarder.
- Irina, ma princesse, tu es ma chair et mon sang, et rien que pour cela, il n'y a rien que je ne puisse te pardonner. Ne l'oublie jamais.
Vera n'eut pas le temps de trop penser que déjà, une profonde rancœur envahissait dangereusement son cœur. Elle se tourna vers Agnès, qui avait une mine honteuse et désespérée. Elle lui avait menti, elle l'avait trahi, Vera avait tout fait pour l'assassin de son mari. Comment avait-elle pu être aussi crédule ?
Irina restait sa fille mais Elena était devenue sa raison de vivre au fil des années. Ce dilemme était insupportable et Vera préféra tenter de raisonner son ancienne fille disparue.
- Irina, je t'en prie, tu as toujours été dans mon cœur et il n'y a pas un jour où je n'ai pas pensé à toi. Tu peux encore faire machine arrière.
La jeune femme blonde tourna ses yeux océan vers sa mère. Vera put déceler une once d'hésitation au fond de ses pupilles, mais bien vite, la rage refit son apparition. Vera savait qu'elle ne pourrait pas raisonner quelqu'un qui avait mis sur pieds une telle vengeance, mais lui demander de choisir entre les deux perles de sa vie était impossible.
- Maman, si je peux encore t'appeler ainsi, Nicolas David va tomber ce soir et toutes les personnes qui sont liées de près ou de loin à cette injustice vont y passer. Tu ne m'empêcheras pas d'accomplir ce que j'ai mis des années à construire !
- Qu'est-ce que ton père te dirait Irina !
Vera avait hurlé mais c'était trop pour elle, les émotions se bousculaient à l'intérieur de son crâne et menaçaient de la faire basculer dans la folie. Elle ne supportait pas qu'Irina prenne l'excuse de son père pour commettre ces horreurs ! Andreï était quelqu'un de bon, de doux, de juste et certainement pas un être sanguinaire et sans scrupules !
- J'ai la poterya maman ! Tous les criminels de l'organisation vont tomber comme des mouches ! Il ne me manque qu'une dernière chose : le boîtier est muni d'un système complexe impossible à contourner par informatique. Papa m'avait offert un collier caché dans un petit ourson à un de ses retours de voyage. Il s'agit de la première clé. La seconde clé, c'est Elena. Elle doit poser son doigt sur le panneau transparent afin qu'une aiguille récolte son sang et que le système prenne son empreinte digitale. Évidemment j'aurais pu lui couper son index et ça aurait été fini, mais il faut que ce petit appareil sente le pouls de ma chère demi-sœur.
Vera vit les yeux révulsés de sa fille et sut à cet instant, qu'effectivement, Irina Arazov était belle et bien morte dans cette explosion.
- Jamais ton père n'aurait voulu tout cela.
- C'est pourtant ce qu'il a fait maman ! Il a conçu ce boîtier afin de faire tomber cette organisation ! C'était sa mission !
- Il voulait avant tout nous protéger ! Il n'a jamais désiré autre chose que ta sécurité, la mienne et celle de tes frères. Si tu savais à quel point il serait désespéré de te voir ainsi...
- On l'a trahi ! On l'a piégé ! On l'a assassiné et Ivan et Zachary ils...
- Ne me fais pas croire que tu agis pour tes petits frères ! Je t'interdis de parler en leur nom ! Tout ce que tu fais est monstrueux, regarde ce que tu es devenue Irina !
- Je le vois maman et tout cela c'est la faute de...
- C'est trop facile ! Comment oser rejeter tes crimes sur la faute de quelqu'un d'autre ! le monde est cruel et horrible parfois, mais la plus grande force est de savoir faire la part des choses, agir avec bienveillance pour faire pencher la balance de l'horreur dans l'autre sens ! Comment as-tu pu croire que tu vengerais ton père en faisant les pires crimes qui puissent exister ! Pourquoi Irina ? Ne me dis pas que c'est pour ta famille... J'ai perdu un mari et mes enfants le même jour et je n'ai cessé de penser que si je pouvais faire la moindre chose pour les ramener et prendre leur place je le ferais sans hésitation, mais jamais je n'ai pensé à la vengeance... Andreï voulait sauver Elena, il désirait que tu aies une sœur et que cette organisation soit mise hors d'état de nuire pour offrir un monde un peu meilleur à ses enfants !
- Il t'a trompé maman ! Et sa maîtresse l'a assassiné !
Vera déglutit péniblement, elle dut reprendre son souffle pour continuer à parler et ne pas sombrer. Son seul objectif à présent était simple : sortir Elena de cet entrepôt, la sauver, pour Andreï, et pour cela, elle était prête à tous les sacrifices. Mais avant, elle avait quelque chose à dire à Irina, et au fond d'elle-même, elle priait le seigneur pour que ses paroles ne soient pas vaines.
- On dit que le plus dur est de tuer un innocent. En vérité, le plus grand des courages c'est de savoir pardonner, ne pas se montrer égoïste et ravaler sa haine. Cette sensation qui te comprime le cœur et qui ne cesse de d'éteindre, noircit ton âme et ne mène qu'à la destruction. Tu t'es perdue toi-même Irina et je regrette tellement de ne pas avoir été là pour toi.
La jeune blonde ne bougeait pas, d'ailleurs personne dans l'entrepôt n'osait faire le moindre geste. Alors que Vera espérait que ses paroles avaient atteint l'ancienne âme de sa fille, le monstre refit surface. Un sourire étira les lèvres de la jeune femme et elle sortit son arme.
- Elena, approche s'il te plaît ou j'explose la tête de ta mère.
Elena ne se le fit pas dire deux fois et elle avança lentement vers Irina. Le cœur de Vera battait tellement fort qu'il menaçait de sortir de sa poitrine.
- Il me semble maintenant que j'ai lu dans un livre de médecine que le pouls restait perceptible une fois la personne morte, du moins pendant un certain temps.
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May It Be
Mystery / Thriller"Prix de l'Histoire la plus Innovante" au concours des Wappies (Wappies Award - Édition 3) Gagnante "The Story of 2019" (WattyContestFR) Elena est une jeune new-yorkaise de vingt-cinq ans. Diplômée en sciences criminelles comparées en France, elle a...