Une partie d'échec (partie 2)

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PRINCETON

Il avait regretté de mettre Elena à la porte dès qu'il avait entendu celle-ci claquer derrière elle. Sa longue chevelure châtain, avec de légers reflets roux, était magnifique à regarder. Ses beaux yeux verts étaient tachetés par endroits de légers points gris, ce qui rendait son regard encore plus saisissant. Elle était peut-être un peu trop fine mais Princeton soupçonnait qu'elle ait eu de graves problèmes et que tout cela s'était fait ressentir sur son poids. Quand il la regardait, il observait un mélange de force, d'empathie extrême agrémentée une dose de fragilité bien dissimulée. Il admirait son dévouement, son caractère bien trempé et la manière dont elle s'était postée devant eux, lors de l'attaque dans son immeuble, l'avait émerveillé. Il avait senti le besoin de la protéger et tous ses a priori avaient volé en éclats lorsqu'il l'avait vu au sol, en train de suffoquer sous le poids de ce mastodonte.

Cependant, malgré toute l'admiration qu'il avait eu pour elle, Princeton n'avait pas pu digérer le fait qu'elle fouille dans ses affaires. Avoir une mère qui se révélait être une meurtrière mais qui avait été relaxée, ce n'était pas forcément quelque chose que l'on confiait à une personne quasiment inconnue. Pourtant, il avait senti une sorte de connexion entre eux ce fameux soir. Il la désirait, cela ne faisait aucun doute, il était attirée par cette belle jeune femme, mais il ne supportait pas d'être percé à jour. Elena avait voulu fissurer sa carapace mais il n'était pas comme ces adolescents complètement perdus... Princeton avait toujours assumé les choses et refusait que quiconque s'occupe de ses affaires. Une femme qui voyait ses faiblesses : hors de question.

Aujourd'hui il devait aller voir son frère. L'état de Bryan empirait de jour en jour et aucun foie n'était disponible pour lui. Ce qui le mettait dans une rage folle c'était que son grand frère était dans ce lit d'hôpital à sa place. Il l'avait protégé et s'était sacrifié pour que Princeton puisse vivre. Maintenant le jeune homme ne désirait qu'une chose : la vengeance. Il connaissait la coupable, il suffisait juste qu'il trouve un moyen de la faire tomber une bonne fois pour toute.

Quand Princeton prit la voiture que le voiturier lui avait apporté devant l'immeuble, il sentit la douce odeur d'Elena dans l'habitacle. Il savait qu'il fallait qu'il arrête de penser à elle mais c'était impossible. Il avait ce besoin vital de la revoir, mais comme d'habitude, sa fierté l'empêchait de faire le premier pas...

*****

ELENA

Diana était hospitalisée au New York Presbytarian Hospital, dans le service psychiatrique. Ma mère avait insisté pour m'accompagner. Nous prîmes un taxi pour ne pas avoir à se garer et pendant le trajet, je voulus questionner ma mère sur un certain nombre de choses. Je choisis de m'adresser à elle en français pour éviter que le chauffeur ne prenne peur en comprenant notre discussion.

« Pourquoi maintenant maman ? ». C'était la seule chose que je voulais savoir pour le moment. Elle soupira et commença à faire tourner entre ses doigts un bracelet en or. Je l'avais toujours vu avoir cette manie lorsqu'elle était mal à l'aise.

« Ellie. Crois-le ou non je n'ai jamais voulu cette vie pour toi. Quand tu es née, je m'étais promis de te protéger contre mon monde, quoiqu'il en coûte. Tu as été et tu resteras le trésor de ma vie. Mais ton père... ». Elle se racla la gorge, comme si le fait d'évoquer mon géniteur lui posait problème. Je ne comprenais pas où elle voulait en venir. Elle ne répondait pas vraiment à ma question et cela n'expliquait toujours pas pourquoi elle m'avait laissé être une arme au service de la famille David. Même si un tas de questions menaçait de faire exploser ma boîte crânienne, je fus patiente et laissai le temps à ma mère pour qu'elle reprenne son récit.

« Au début, ton père était une cible de la DGSE. Je devais le surveiller et trouver les failles dans son système pour le coincer. Cependant les choses ne se sont pas passées comme prévues. Tu vas te dire que j'étais stupide et sûrement que je le suis encore aujourd'hui mais il m'a séduite. Nicolas David m'a promis monts et merveilles et on dit bien que l'amour est aveugle. J'avais tout juste vingt-cinq ans et je n'ai pas pu résister à son côté charmeur. Il a cette particularité, que tu as toi aussi vécu, de te donner tout ce que tu désires au plus profond de toi : de l'attention, de l'amour, de l'admiration. Tu as le sentiment d'être une personne exceptionnelle. J'ai joué le rôle d'agent double pendant deux ans. Je travaillais à la fois pour la DGSE et pour ton père. Je lui avais révélé mon rôle auprès de l'État français et il s'en est finalement servi à son avantage. Il me demandait de voler des documents confidentiels, de faire disparaître des preuves, etc. ».

Je savais que ma mère avait eu un rôle important dans la construction de l'empire criminel de mon père mais c'était la première fois qu'elle m'en parlait ouvertement. Son côté hautain laissait place à un visage épuisée, abîmée par la vie. Jamais je n'avais pu percevoir chez elle la moindre faiblesse et pourtant, à cet instant là, je voyais qu'elle souffrait. Après une courte pause, elle continua son récit :

« J'étais profondément amoureuse de ton père. J'aurais tout fait pour lui. Néanmoins, quand j'ai su qu'il utilisait les informations que je lui donnais pour tuer, j'ai voulu me rétracter. Je sais que cela peut paraître stupide à tes yeux, mais voler, arnaquer, je pouvais le supporter, cependant, quand j'ai vu qu'il engageait des tueurs à gage pour éliminer ses concurrents, j'ai voulu fuir ».

Si elle détestait tant le fait de tuer quelqu'un, pourquoi avait-elle mis fin aux jours de ce russe cette fameuse soirée de Noël ? Je voulus lui poser la question mais elle m'arrêta de la main avec autorité.

« Laisse-moi finir mon histoire ma chérie, sinon je n'en serais plus capable par la suite ». Je hochai la tête et restai attentive.

« J'ai découvert que j'étais enceinte de ton père peu après ma décision de fuir. J'en étais déjà à mon quatrième mois, j'étais donc obligée de te garder. Nicolas David est une personne qui a énormément de relations, et je ne sais pas comment il a su que je comptais partir, mais un fameux soir il m'a convoqué dans son bureau. Là, il m'a jeté un ultimatum, j'étais piégée. Soit j'étais poursuivie pour haute trahison par le gouvernement français, soit le monde de la pègre allait savoir que c'était moi qui avais mis en place toutes les opérations afin de voler les plus puissants criminels. À cet instant, je n'ai pensé qu'à toi. Je voulais que tu sois dans un environnement protégé et je savais que ton père ne te ferait jamais de mal. Il avait plusieurs fois émis le souhait d'avoir des enfants. J'ai donc décidé d'accepter son marché : si je restais, il m'offrait la sécurité financière et il me garantissait que je ne serais jamais inquiétée par la DGSE. Ne me demande pas comment il a fait cela, je n'en ai absolument aucune idée. Pendant cinq mois, je t'ai porté, caressé à travers ma peau, tu étais ma seule raison de vivre. Quand tu es enfin sortie de mon ventre, tu étais la plus brillante des étoiles, la plus magnifique des petites filles. Je t'ai aimé dès la première fois que je t'ai vu et je me suis promis qu'il ne t'arriverait jamais rien... Mais je n'ai hélas pas pu tenir ma promesse. Je suis tellement désolée... ».

Les yeux de ma mère brillaient à présent. Je ne l'avais jamais vu verser une larme, c'est pour cela que j'étais profondément touchée par ses paroles. Je profitai que ma mère était en bonne disposition pour me dire la vérité afin de lui poser la question qui me brûlait la langue :

« Pourquoi tu m'as fait entrer dans ton monde ce fameux soir de Noël maman ? Pourquoi as-tu tué cet homme ? ».

Je la sentis trembler et elle joua encore une fois avec son bracelet avant de me répondre :

« Cet homme était un ennemi de ton père et avait tout simplement décidé de lui prendre la seule chose qu'il ne pourrait pas remplacer par un meilleur investissement : toi. Il était là pour te tuer. Je lui est simplement ôté la vie avant qu'il ne t'enlève à moi pour toujours. Je n'aurais pas pu le supporter. J'en serais morte. ».

Je m'étais trompée sur toute la ligne. Je ne m'étais pas attaquée aux bonnes personnes. Je me sentais stupide de ne pas avoir vu que ma mère ne voulait que mon bien. Cependant, malgré le fait que j'avais encore beaucoup de questions à lui poser, le chauffeur de taxi nous prévint que nous étions arrivées à destination.

May It BeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant