May It Be

Une partie d'échec (partie 1)

Dans un entrepôt, sur les docks, Dimanche. 10h35

Un jeune homme était ligoté à une chaise en fer disposée au centre de l'entrepôt. Son visage était ensanglanté et ce qui avait été autrefois un beau visage, n'était plus qu'un amas d'hématomes et de blessures diverses. Sa tête tombait en avant. Il était épuisé et sentait que toutes ses forces l'abandonnaient. Ses yeux gonflés par les nombreux coups qu'il avait reçus lui permettaient à peine de distinguer ce qu'il y avait autour de lui. L'entrepôt devait être abandonné depuis un bon moment. Des chaînes rouillées pendaient un peu partout, des machines d'un ancien temps trônaient de part et d'autre de l'immense espace. On sentait une forte odeur de fuel et de ferraille. L'endroit était loin d'être accueillant et aurait pu servir pour le tournage d'un film d'horreur.

Il ne savait pas qui l'avait enlevé et il ne connaissait pas non plus la raison pour laquelle il était là. Sa copine venait d'attenter à ses jours et il n'avait pas pu être à son chevet pour la soutenir.

Pendant que Gordon essayait de reprendre des forces afin d'entamer les liens qui le maintenaient dans cet endroit lugubre, il entendit soudain la porte de métal, par laquelle on l'avait amené, s'ouvrir. Son sang se glaça et à présent il craignait qu'ils comprennent qu'il ne leur servirait strictement à rien.

Un homme élégant, au regard carnassier, s'approcha de lui avec un rictus effrayant. Il était de loin celui qui était le plus cruel. Cela se pressentait dans sa manière de parler avec détachement, dans le fait que de voir souffrir les autres le rendait presque euphorique.

Ses yeux bleus fixèrent Gordon avec une pitié feinte.

« En réalité mon petit Gordon, tu ne me sers pas à grand chose... Tu ne connais vraiment pas ma charmante Elena David ? Et puis ton père a pas tant de fric que ça, il est ruiné, donc question rançon tu ne vas pas m'apporter grand-chose... En plus, j'ai misé sur le mauvais cheval car en réalité tu m'as dit que tu l'avais traité comme de la merde. Si tu as osé faire ça c'est que tu ne connais pas les véritables talents de ma tigresse. Il faut dire qu'elle est si secrète. Maintenant je peux te le dire, je l'ai aimée comme un fou, elle allait faire de moi le plus heureux des hommes de cette terre. Tu savais qu'elle portait mon enfant ? Non évidemment... Elle allait donner naissance à une magnifique petite fille qui allait lui ressembler en tous points, j'en était sûr. Au début, cela m'allait tout à fait. Comme j'aimais sa mère comme un dingue, je savais que ma petite fille serait le plus beau trésor de ma vie. Quand elle m'a trahi, j'ai ressenti de la haine. Ce n'était pas le genre de haine que l'on peut balayer d'un simple coup de main, non... Cette haine m'habitait, il fallait que je la tue, elle et sa progéniture. Je n'aurais jamais pu aimer cette gamine, fille d'une traîtresse... Tu dois me trouver cruel mon petit Gordon ».

Quand il eut terminé sa tirade, il éclata d'un rire qui donna la chair de poule au pauvre jeune homme. Il ne comprenait pas pourquoi il lui racontait tout cela. C'était un monstre et il s'en voulait d'avoir traité Elena David de la pire des manières. Elle avait dû souffrir. Pourtant elle n'en avait rien montré. Maintenant il savait qu'il n'aurait plus l'occasion de s'excuser... Si ce monstre lui disait tout cela c'est qu'il avait la ferme intention de le tuer, et de l'abandonner au fond d'un caniveau comme une vermine.

Alors que Gordon croyait que la fin était arrivée, le malade reprit la parole :

« Au début, quand j'ai su qu'elle avait survécu, je fus presque soulagée. J'avais un moyen de pression sur son père, un magnat des affaires avec beaucoup, beaucoup, d'argent. Je l'ai observé pendant un an jouer la sainte dans cette merde de service juridique... Puis quand j'ai su que son père n'en n'avait strictement rien à faire de sa petite gueule d'ange, j'ai dû changer de tactique. J'ai pris la direction des Sharks sachant qu'elle s'occupait du fils du défunt chef de ce gang. Quelle opportunité ! Celle-ci je ne pouvais pas la rater ! J'allais avoir une putain d'armée à mon service pour la liquider pour de bon ». Et puis vous êtes arrivés, les gosses de riches, avec des relations longues comme le bras. Alors j'ai eu une autre idée... Pourquoi je me contenterais d'elle ? Je pourrais la faire souffrir en liquidant tous les êtres qui comptent sur elle, tous ceux qu'elle a envie d'aider. Une fois que je l'aurais tué psychologiquement, l'abattre serait tellement plus facile, elle me suppliera bientôt de lui loger une balle dans la tête ».

Gordon était horrifié de la monstruosité qui se dégageait de cet homme. D'ailleurs, il se demandait s'il lui restait une once d'humanité en lui. Plus il l'écoutait, plus il en doutait.

« Au fait, tu as compris que j'allai te tuer, mais je suis tout de même sympa, je vais te laisser choisir la manière dont tu as envie d'en finir... ». Sur ces paroles, Gordon vit l'homme sortir de sa poche droite un pistolet, et de l'autre un couteau.

« Tu préfères que je t'étripe comme un porc en t'attachant à une de ces chaînes ou que je te tire dans les rotules puis dans la tête. La deuxième solution sera moins jouissive pour moi évidemment mais comme tu as été plutôt coopératif, c'est la moindre des choses que je peux faire pour toi mon frère ». Cette fois ce n'était plus un rire que Gordon entendit mais plutôt une sorte de râle animal. Cet homme aimait faire souffrir ses proies... Il ne possédait plus d'âme. D'ailleurs, en avait-il déjà eu une ? On pouvait le qualifier de psychopathe en puissance. Il serait un vrai sujet d'étude pour tous les psychiatres de cette planète.

La dernière pensée de Gordon fût pour Diana et il garda en tête ses immenses yeux océan. Elle allait lui manquer...