La lutte (partie 3)

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Je fixai celle qui m'avait donné la vie d'un oeil mauvais. Elle ne m'avait jamais protégé ou défendu et maintenant elle se ramenait la bouche en coeur ? Pourquoi ? Alors que je croyais être au bout de ce que j'avais pu supporter, je vis un géant traîner une énorme valise derrière ma mère. Il avait un air rustre et semblait issu d'un pays slave. Il était chauve et ses yeux bleu ciel fixaient droit devant lui sans jamais croiser votre regard. S'en était presqu'effrayant. Il devait faire dans les deux mètres et pesait, à vue de nez, plus de cent-vingt kilos. C'était la représentation même de ce que l'on nommait une « montagne ».

Ma mère due suivre mon regard car elle me présenta à ce mastodonte :

« Ellie, je te présente Dimitri Skinov. C'est un ancien membre du KGB qui a été dénoncé, à tort, de trahison envers la Russie. Je l'ai sorti du goulag il y a de cela vingt ans et on va dire qu'il me doit une reconnaissance éternelle. C'est un excellent garde du corps ». 

Elle avait prononcé ces paroles comme s'il s'agissait d'une anecdote futile que l'on raconterait à une réunion de famille. Ce monde ne m'avait décidément pas manqué.

Je soupirai. Je n'avais plus de force, trop de choses s'entremêlaient dans ma vie, et ma seule volonté était de retrouver une vie « normale ».

Je fis demi-tour pour aller m'effondrer à nouveau sur le canapé, armée de la couverture que m'avait prêtée Vera. Plus rien n'avait d'importance. À cet instant j'enviais les ours qui pouvaient hiberner toute une saison et se réveiller à une nouvelle époque. À défaut d'être un grizzly, j'aurais bien voulu être réincarnée en une petite marmotte et me faufiler dans un recoin au chaud où personne ne viendrait me déranger.

Ma mère ne sembla pas se formaliser de mon attitude et je l'entendis ordonner à Dimitri de porter l'énorme valise au salon. Vera et elle avaient l'air de se connaître depuis des lustres. Agnès David vint avec une démarche élégante, s'installer sur l'un des deux fauteuils en face du canapé où je me trouvais, alors que Vera s'assit dans l'autre. Je me sentais encerclée.

« Ellie, ma puce, il faut que l'on parle. Je suis sûre que tu as énormément de questions à me poser et j'accepterais volontiers que tu m'en veuilles pour le restant de ton existence, mais laisse moi t'aider. Il faut que je t'explique certaines choses et... ».

J'éclatai de rire. Mes nerfs commençaient à lâcher car je ne pus empêcher le fou-rire qui me traversait tout le corps s'échapper de mes lèvres. J'étais entre le rire et les larmes et si une personne lambda m'avait vu réagir de la sorte, elle m'aurait sans doute diagnostiqué comme hystérique ou bipolaire.

Je m'arrêtai soudain et fixai ma mère avec un regard dur :

« Je crois que tu peux remballer tes affaires maman, prendre un billet retour pour Paris et m'oublier... Comme je l'ai fait pour toi. ». Je ne croyais pas être capable de balancer un venin aussi mortel à une personne de ma famille, mais les paroles de Princeton me revinrent en mémoire : Ce n'est pas parce que l'on partage le même sang avec quelqu'un que l'on est obligé de l'aimer. Ces paroles me firent du bien et je me sentis moins coupable en observant l'air interloqué de ma mère.

« Ellie. Cela fait un an que je suis aux États-Unis, je suis enseignante à Harvard. Vera est une très vieille amie et je t'ai confié à elle quand tu es partie pour rejoindre l'Amérique. Je ne suis peut-être pas une mère exemplaire mais j'ai refusé de faire comme ton père : te virer de ma vie. J'ai tout fait pour que tu sois dans un environnement protégé. Ce dont je ne me doutais pas, c'est qu'un homme tel qu'Adam Preston mettrait la main sur toi... ».

Elle avait osé prononcé le nom de ce monstre devant moi, sans sourciller. Elle ne manquait pas d'air. Elle voulait me protéger ? Où était-elle quand je vivais dans un appartement miteux parce que je n'avais pas les moyens de me payer autre chose ? Quand les fins de mois étaient difficiles ? et surtout où était-elle quand Adam s'en était pris à moi ? À ma chaire, à mon coeur, à ma raison d'être. Elle était absente pendant tout ce temps...

« Ellie, je sais ce que tu es en train de te dire, que c'est un peu tard pour me faire pardonner. Mais tu dois savoir que tu es en grand danger et tu auras tout le temps de me mettre une droite après que j'aie fini de te briefer sur la situation actuelle. »

Je me relevai délicatement et lui fis face. J'avais été manipulée depuis le début, j'avais cru que Vera m'avait employée grâce à mes talents, alors que c'était ma mère qui avait manigancé toute cette histoire.

« Économise ta salive maman, je n'ai pas besoin que tu me « briefes » sur quoi que se soit, cette vie est terminée pour moi ».

Ma mère me regarda exaspérée et soudain elle prit la télécommande posée sur la table basse, et entrepris d'allumer la télévision. Les chaînes d'information ne parlaient que d'une chose : la fille de Fanny Galliano, Diana, a été hospitalisée ce matin. Rien n'était dit sur les causes exactes de cette hospitalisation mais ma mère avait l'air d'en savoir beaucoup plus que les journalistes. Après cinq minutes, la télévision s'éteignit.

« Est-ce que maintenant j'ai ton attention Elena David ? ».

Malgré moi je hochai la tête.

« Fanny Galliano est la femme de Victor Galliano, le gérant du cabinet G&C spécialisé en droit des investissements internationaux. Il a une âme de requin et n'hésitera pas à te détruire s'il apprend ce qui est arrivé hier à sa fille alors que tu en avais la garde ». Je voulus riposter mais ma mère m'arrêta en levant son doigt, parfaitement manucuré, devant moi.

« Quand je parle de te détruire, cela veut dire que tu seras à nouveau devant les caméras et donc exposée. D'après ce que j'ai pu apprendre, grâce à mes contacts, Diana a fait une tentative de suicide. Elle s'est ouvert les veines ce matin en prenant son bain. Ta mission sera d'éteindre le feu avant qu'il ne prenne trop d'ampleur ».

« Mais qu'est ce que tu veux que je fasse ? »

« Que tu ailles la voir »

Elle ne pouvait pas être sérieuse, je n'allais sûrement pas intimider une pauvre fille même si Diana n'était pas un ange. De toute manière, cela ne servirait à rien; dès le premier jour de mon arrivée à l'Université, elle m'avait bien fait comprendre qu'elle ne m'accorderait aucun respect...

« Maman, ça ne marchera pas. Cette fille me déteste et je suis sûrement la dernière personne qu'elle a envie de voir... ».

« Ne t'inquiète pas ma chérie, je t'ai déjà mise sur la liste des visiteurs autorisés. Pour ce qui est de ton différend avec elle, je croyais que tu pouvais amadouer les plus durs délinquants. Elle est fragile, c'est le moment d'agir. De plus, elle sera sûrement plus heureuse de te voir que de rester à écouter les jacassements de sa mère, crois-moi ».

Je n'arrivais toujours pas à réaliser dans quelle galère je m'étais mise. Je n'en pouvais plus, j'en avais marre de me battre sans arrêt. Ma vie n'avait été qu'une lutte permanente et mon envie à cet instant, était de lâcher les armes...

« Elena, chérie ». Ma mère me prit la main. C'étais tellement exceptionnel pour elle que je tressaillis à son contact.

« Tu n'as pas le choix ». Cette seule phrase me fendit le coeur car elle ne faisait que confirmer ce que je pensais déjà depuis que je l'avais vu passer le pas de la porte...

May It BeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant