Dans tes Rêves

Chapitre 26

   Les mercredis et samedis après-midi, avec Kyle, nous avons pris l'habitude d'aller nous entraîner ensemble à Porte Dorée. Lui rejoint les terrains de basket avoisinant le parc, où le niveau est assez élevé pour qu'il puisse s'entraîner correctement, moi je peux courir autour du lac et au bois de Vincennes, assez grand pour que je puisse varier mes trajets. Et comme mon entraînement est plus court que le sien, je le rejoins ensuite, et ai tout le loisir de le regarder jouer.

Et je crois que c'est devenu l'un de mes nouveaux moments préférés. Je pourrais l'observer pendant des heures, courir, dribbler, esquiver, shooter, concentré sur le jeu et rien d'autre.

Ce samedi n'échappe pas à la règle, malgré notre trop courte nuit. Nous nous quittons à l'arrêt de tramway, lui remontant l'avenue vers les terrains de jeux, moi bifurquant vers le parc. J'enfonce mes écouteurs dans les oreilles, pousse le volume à fond, et tente de trouver la motivation dans les fibres de mes muscles addicts à l'effort. Je serai récompensée juste après, par un spectacle qui en vaudra le détour.

Le week-end, c'est un peu plus compliqué de s'entraîner aux alentours du lac. Les familles viennent prendre leur bol d'air de la semaine, et les chemins sont engorgés de promeneurs, et de vélos, et de chiens. Je me suis donc enfoncée dans le bois, qui est assez grand pour y trouver des sentiers un peu moins fréquentés. Arrivée à Vincennes, j'ai décidé de rebrousser chemin et me diriger vers mon point de départ, sans vraiment me faire prier. Je n'ai finalement pas couru très longtemps, tellement pressée d'enchaîner sur la suite de mon programme.

Après avoir marché un peu et procédé à quelques étirements, je rejoins enfin l'endroit où je veux être depuis que j'ai commencé cet entraînement. Je longe le grillage du stade, repère l'endroit où se trouve Kyle. Tiens, ils sont nombreux à jouer aujourd'hui, le terrain entier leur appartient.

Je passe la porte et marche en bordure de la parcelle, remarquant déjà mon joueur au milieu de tous les autres. Il est dans son élément, ici, ça saute aux yeux. Entouré de ses coéquipiers, il évolue sur le terrain avec beaucoup d'aisance, et domine clairement le jeu.

Je passe timidement devant la foule bruyante amassée sur le côté, pour m'installer dans un petit coin reculé, sur un tapis d'herbe, afin de ne déranger personne. Les joueurs crient, se bousculent, se chahutent, rigolent parfois, et jurent aussi. Un peu trop souvent en anglais d'ailleurs...

Lorsque Kyle m'aperçoit, il me fait un petit signe rapide avant de reprendre sa concentration, tout à son jeu. Il est habillé d'un maillot jaune Long Beach University, tombant parfaitement sur un short noir qui descend jusqu'au dessus des genoux et met en valeur ses mollets saillants. Il est grand, mais lorsque j'observe les autres joueurs, je m'aperçois qu'il est tout juste dans la moyenne parmi eux. Je ne m'imagine même pas évoluer, toute petite, au milieu de toutes ces armoires à glace.

Quand je pose de nouveau les yeux sur lui, je suis une nouvelle fois étonnée par son comportement. Parce que, je l'oublie trop souvent, lorsqu'il n'est pas avec moi, il a l'air si distant et arrogant. Mon bad boy... Lorsque je le vois comme ça, je me souviens pourquoi je le jugeais ainsi. Il paraît tellement sûr de lui, avec une certaine impertinence dans le regard, parfois même du dédain. Il ne se laisse pas faire, et ne rate pas une occasion pour charrier les autres joueurs.

Ce Kyle-là refait surface devant tous les autres. Tous les autres, sauf moi. Je le vois bien dans la rue, lorsque les filles le reluquent, et qu'il s'en aperçoit à peine, ou pire, qu'il les évite explicitement ou leur lance une oeillade hautaine. Je faisais partie de ces filles-là, il n'y a pas si longtemps. Mais, le soir de l'anniversaire de Morgane, tout à coup, il m'a vue, et parlé. Et tout a changé.

Il n'y a pas un jour où je ne me demande pas pourquoi. Pourquoi subitement les événements ont pris une autre tournure? Est-ce simplement les circonstances? Le bon moment au bon endroit? En tout cas, je ne peux que remercier le hasard de l'avoir poussé, ce jour-là, vers moi.