Ah Pigalle! Son Moulin Rouge, ses pièges à touristes à tous les coins de rues, ses salles de concerts mythiques, et bien sûr ses fameux sexshops. Ce quartier à l'ambiance teintée de luxure et de frivolité. De la place d'Anvers à celle de Clichy, clubs, cabarets, bars, et boutiques érotiques se succèdent, entraînant les touristes et les fêtards d'une échoppe à l'autre, d'un vice à l'autre.
Et voilà que je m'y retrouve avec mon petit frère en pleine puberté, à flâner sur le boulevard de Clichy, pour lorgner les synthétiseurs et autres instruments de musique.
– Ca va à la maison? lui demandé-je l'air de rien.
Je prends le temps de le regarder. Qu'il a changé en l'espace d'une année. Il vient de terminer cette période où le corps d'adolescent grandit en freestyle, de façon presque démesurée et à l'antagonisme des règles de proportionnalité. Il y a encore quelques mois, ses longues jambes et bras maigres qui ont grandis bien trop rapidement, sans avoir eu le temps de se remplir un peu, lui donnaient cette allure dégingandée de jeune poulain encore maladroit. Aujourd'hui, il s'est un peu remplumé, et a, en définitive presque un corps d'homme. Ce qui trahit son âge est surtout son visage légèrement poupon souligné par ses joues pleines, sa mâchoire encore arrondie. Il arbore une coupe de cheveux assez classique pour son âge, partageant avec mon père cette même couleur châtain. Cependant, bien que leur ressemblance soit frappante, il n'a pas hérité de ses yeux bleus lui non plus. Nous partageons avec maman ce ton noisette à la lueur presque dorée.
– Ouais, ça va. Papa est jamais là, comme d'hab. Et maman, c'est maman quoi.
J'opine du bonnet devant ces nouvelles qui n'en sont pas vraiment, enfournant mes mains avides de chaleur dans les poches de mon manteau, mes épaules se contractant malgré moi. Nous sommes en plein mois de décembre et le froid semble s'immiscer jusqu'à mes os malgré les trois couches de vêtements qui ceignent mon corps fluet.
– Et le lycée?
– Putain, j'en ai marre. J'ai juste hâte que ça se termine et me tirer de ce patelin comme toi.
Je pousse alors la porte d'entrée d'un des plus grands magasins de musique de la rue, et Clément se dirige droit sur les batteries.
– Je te comprends... Allez, plus qu'un an et demi et tu es libre de t'acheter tous les instruments que tu veux.
– C'est clair! Ca fait combien de temps que je demande aux parents une batterie? Ils esquivent à chaque fois avec une excuse pourrie. "Il faut que tu fasses tes preuves d'abord", et puis maintenant "c'est pas possible financièrement pour le moment, avec ta soeur qui fait ses études". Putain ça fait cinq ans que je prends des cours alors merde! Ca me soule, tu vois?
– Oui, je comprends.
Depuis qu'il a commencé la batterie, il est obligé d'aller s'entraîner directement à l'école de musique, où une salle de répétition est à la disposition des élèves. Je le laisse baver devant l'instrument qu'il convoite depuis si longtemps. Il en essaie plusieurs, joue un moment sur l'une des batteries, puis une autre, et... Je ne le savais pas aussi doué. Il a tant de dextérité, magnant les baguettes comme un bartender joue avec ses cocktails, l'air d'être dans son monde à lui.
Il me fait régulièrement écouter ses morceaux créés par ordinateur, mais je ne l'ai pas entendu jouer de la batterie depuis presque deux ans. Depuis que je suis partie de chez mes parents, en fait. Peut-être que je devrais me faire plus présente à ses côtés. S'il y a une personne dans notre famille qui comprend l'importance d'accomplir ses rêves, c'est bien moi. Et je sais à quel point nos parents sont éloignés de cette notion de passion. Pour eux, il faut réussir ses études, trouver une situation stable. C'est le plus important.
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Dans tes Rêves
RomanceAlice est en deuxième année à l'université, à Paris. Entre la fac, le travail, et sa passion, elle n'a ni le temps, ni l'envie de se laisser aller aux plaisirs de la vie étudiante. Elle a un rêve à accomplir et elle s'en donne les moyens. Pourtant...