En bas des escaliers du grand bâtiment vert, à l'intérieur duquel nous étions il y a encore quelques minutes, je suis à deux doigts de tomber à la renverse, tirée par le poids de Morgane qui est presque inconsciente, quand Kyle nous rattrape de justesse. Il m'aide alors à la maintenir debout et la faire avancer tant bien que mal le long du quai.
– Je suis garé à cinq minutes, me rassure-t-il lorsqu'il me surprend en train de soupirer.
Je fatigue un peu, et porter Morgane depuis un bon quart d'heure commence vraiment à m'engourdir le bras.
Quand j'y pense, je ne sais pas si c'est une super idée de monter en voiture avec un gars que je connais à peine, et qui n'est "pas un mec bien" selon mon amie. Mais franchement, je ne me sens pas le courage de trouver une autre solution. Je suis prête à prendre le risque. Il me tarde d'être chez moi, même si je vais à peine dormir, toute recroquevillée dans mon petit fauteuil rouge, pendant que Morgane roupillera dans mon lit douillet.
– Au fait, moi c'est Kyle.
Ouais, je sais, je le sais tellement. Il me regarde, en attente de quelque chose. Je lève les yeux au ciel. Bien entendu, lui ne connaît pas mon prénom.
– Ah ouais... je... enchantée, moi c'est Alice.
Je regarde le sol, mes cheveux détachés dissimulent mon visage sous le rideau qu'ils forment et me séparent du monde à cet instant. Un instant bref, évaporé dès que Morgane se met à remuer dans mes bras, m'obligeant à m'ancrer au sol.
– Laissez-moi là les.. les gars, je peux plus... plus avancer, gémit-elle.
Mais elle n'a pas le temps de terminer sa phrase qu'elle se penche en avant et rend tout ce qu'elle a dans le ventre, aux pieds de Kyle.
– Fuck! s'exclame-t-il en reculant d'un bond.
Il revient rapidement à nos côtés pour m'aider à soutenir Morgane, qui se convulse pliée en deux.
– Plus jjamais je bo-bois, se lamente-t-elle, avant d'être reprise de spasmes. Elle me fait rire malgré moi. Elle avait déjà dit ça la dernière fois.
Voilà, j'ai parlé trop vite tout à l'heure, encore une soirée géniale! Une fois qu'elle s'est calmée, je lui essuie la bouche avec des mouchoirs, et Kyle la soutient jusqu'à ce que nous arrivions à la voiture. Il m'aide ensuite à l'installer à l'arrière, et je m'assois aux côtés de mon amie, tandis qu'il se met au volant. Je n'ai même pas fait attention à la voiture noire dans laquelle nous sommes montés; qu'elle nous ramène à bon port, c'est tout ce que je demande. Et vite. J'espère juste que Morgane ne va pas la customiser avec ce qui lui reste dans l'estomac.
Le court trajet jusqu'à chez moi se fait dans le silence, mis à part les indications que je donne à Kyle pour la route. Je le surprend plusieurs fois en train de m'observer dans le rétroviseur. Mais j'esquive, en me tournant vers Morgane, ou la vitre, faisant mine d'admirer le Paris Treizième By Night. Je sors mon téléphone et m'aperçois que j'ai un message d'Axel: "T'es où?"
Je lui réponds rapidement: "Désolée je suis rentrée avec Morgane, je pensais que t'étais parti. On s'appelle demain, bisous".
Lorsque nous arrivons, dix minutes plus tard, ma copine complètement ivre s'est déjà endormie. Miraculeusement, on trouve une place plutôt rapidement, dans une petite rue perpendiculaire à la mienne.
– T'as besoin d'un coup de main pour la monter jusqu'à chez toi?
Je n'hésite pas longtemps, me revoyant quelques semaines auparavant galérer à traîner Morgane sur les cinq étages.
– Je veux bien, merci. C'est qu'elle n'est pas toute légère, surtout quand elle est bourrée.
– Pas de problème.
J'essaie de réveiller Morgane, qui grogne pour qu'on la laisse tranquille. Au bout de quelques minutes, j'abandonne. Kyle finit par ouvrir la portière arrière et prendre les choses, ou plutôt la chose, en mains. Il porte ma copine jusqu'à l'entrée de mon immeuble, la dépose quelques instants pour reprendre des forces pendant que j'ouvre la porte, et nous entrons pour nous diriger vers le grand escalier en colimaçon.
C'est assez comique de le voir ainsi, rougi par l'effort, son jean en train de descendre tendancieusement sur son boxer, retenant sa respiration sur plusieurs marches, sous le poids de la jeune fille éméchée. Arrivé au premier étage, il s'adosse au mur, une Morgane inconsciente contre l'épaule, et me souffle plein d'espoir:
– T'es à quel étage?
– Au cinquième.
– Shit! You gotta be kidding me, right?* s'exclame-t-il, l'air complètement découragé. [* Merde! Tu te fiches de moi, c'est ça?]
Je dois dire qu'il me fait craquer avec ce petit air affligé. J'aurais envie de lui caresser la joue pour le rassurer. Arrête ça Alice, arrête les Mojitos, ça ne te réussit vraiment pas.
– Euh... non désolée, encore quatre étages, murmuré-je avec un sourire gêné, enfonçant le clou malgré moi.
– Fuck! jure-t-il de nouveau.
Il reprend son ascension après un coup d'oeil à mon attention. Il m'entend pouffer derrière lui, et tente de se retourner avec un sourire taquin.
Après deux étages supplémentaires, nous refaisons une pause, moi appuyée sur la rambarde, lui contre le mur en face. Et je peux voir sa poitrine se soulever et s'abaisser alors qu'il reprend son souffle. Morgane se met à gigoter lorsqu'il la dépose au sol:
– Hé! tu m'as... tu m'as réveillée, merde! se permet-elle de râler.
J'attrape alors un fou rire, tellement je suis gênée pour ce pauvre Kyle, qui a le mérite de rester patient et calme malgré la situation dans laquelle il s'est engagée. Un peu surpris par ma réaction, il a l'air de se détendre au vu de mon hilarité.
– Désolée... Allez, la bonne nouvelle c'est qu'on a dépassé la moitié.
Et je tente de retenir dans ma bouche le rire moqueur qui essaie de s'en extirper.
– Petite farceuse, tu perds rien pour attendre. Tu vas devoir me porter jusqu'à la voiture au retour! Tu feras moins la maligne, réplique-t-il avec malice en reprenant Morgane dans ses bras.
Celle-ci s'est visiblement déjà rendormie après quelques grognements. Finalement, il réussit à déposer ma copine à moitié dans le coma devant ma porte, avec un grand soupir de soulagement. Ses pommettes sont toujours aussi rouges. Je vois quelques gouttelettes de transpiration perler au niveau de ses tempes, alors qu'il reprend doucement sa respiration. J'aimerais bien les essuyer du bout des doigts, et passer ma main dans ses cheveux légèrement humides... Je divague.
– Et maintenant? me demande-t-il alors qu'il me surprend en train de le dévisager sans aucune subtilité.
Je sors de ma torpeur, embarassée d'avoir été démasquée, cherche mes clefs dans mon sac à main, et ouvre la porte.
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Dans tes Rêves
Roman d'amourAlice est en deuxième année à l'université, à Paris. Entre la fac, le travail, et sa passion, elle n'a ni le temps, ni l'envie de se laisser aller aux plaisirs de la vie étudiante. Elle a un rêve à accomplir et elle s'en donne les moyens. Pourtant...