Chapitre 70

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   Voilà plus d'un mois que je me suis faite opérer, et un peu moins que j'ai dû rentrer chez mes parents. D'après les chirurgiens et médecins, tout s'est bien déroulé, et j'ai eu de la chance, selon leurs dires, de n'avoir qu'une simple fracture, et non de multiples fissures au niveau du genou. Des vis ont été fixées pour maintenir les deux parties de l'os ensemble. Et je suis maintenant contrainte de rester immobile durant encore au moins deux bonnes semaines. Ayant une entorse au poignet, conséquence minime de l'accident, les béquilles ne sont pas envisageables pour l'instant. Le fauteuil roulant est donc ma seule option.

Étant dépendante physiquement durant cette période, il a été décidé, bien malgré moi, que j'effectue ce séjour de rêve chez mes parents. Loin de mon chez moi. Loin de mes amis. Loin de mes habitudes.

Après cela, je vais devoir séjourner un mois ou deux dans un centre de rééducation. Il y a bien la solution de n'y passer que la journée, mais mon appartement étant au cinquième étage sans ascenseur, il m'est impossible d'envisager cette solution.

Evidemment, je ne peux ni aller à la fac, ni travailler à la crêperie. J'essaie de m'accrocher aux choses positives, ne pas baisser les bras. Mais franchement, ces dernières semaines, je les vis comme un calvaire. Je ne supporte pas rester inactive. Je n'ai rien à quoi me raccrocher lorsque ça ne va pas. Je n'arrive pas à trouver de soupape de décompression, telle que la course qui m'a tant aidée ces dernières années. Et malgré le fait que je délaissais un peu ma passion avant l'accident, je me rends compte à présent à quel point elle faisait partie de moi. D'autant plus à présent qu'elle m'est interdite.

Dans la maison de mes parents, je ne suis même pas installée dans ma chambre, celle-ci étant à l'étage. Je dois donc me contenter de dormir dans le petit bureau, seule pièce du rez-de-chaussée autre que le salon et la cuisine. C'est un endroit minuscule où il fait toujours froid. Le mini clic clac qui me sert de lit et un tout petit bureau en bois sombre remplissent à eux seuls l'espace étriqué.

Tous les gestes de mon quotidien sont un challenge. Me déplacer seule à l'aide du fauteuil roulant, aller aux toilettes seule, me laver seule, j'ai dû apprendre à le faire. Il m'est impossible de mettre du poids sur ma jambe abîmée, rendant difficile l'exécution de ces mouvements qui semblaient pourtant si simples lorsque régnait un équilibre sans faille, une harmonie paisible et silencieuse dans ce corps qui me portait jusqu'à mes rêves, sans même que j'en ai conscience. 

Au début, ma mère devait même m'aider pour poser mes fesses sur les toilettes. Je m'en suis sentie humiliée. C'est ma mère, d'accord. Mais perdre mon autonomie à ce point me semble tellement dégradant.

Peut-être est-ce en partie pour cela que malgré leurs efforts, je ne supporte plus mes parents. Je ne supporte plus leur pitié, leur dénuement face à mon abattement, leur manque de patience devant mon irascibilité, leur présence qui me rappelle que la mienne ne devrait pas leur être aussi pesante, leur aide pourtant bienveillante face à mon invalidité. Je ne supporte pas ma dépendance totale à leur égard.

La force d'avancer me quitte régulièrement, parce qu'à chaque nouvelle épreuve, il faut trouver la détermination de se relever. L'un des premiers problèmes qui s'est posé est le fait de ne pas être capable de retourner à la fac. J'ai donc contacté des personnes qui assistaient aux mêmes cours que moi. Mais lire les prises de notes des autres relève de l'exploit.

J'ai aussi tenté de joindre les professeurs afin de leur expliquer ma situation. Certains ont consenti à m'envoyer leurs cours. D'autres n'ont pas pris la peine de me répondre.

Enfin, j'ai demandé de l'aide à Morgane, qui a évidemment accepté. Pourtant, depuis l'accident je sens bien qu'elle a pris un peu ses distances. Elle m'appelle de temps en temps, me demande des nouvelles, mais à chaque fois que nous parlons au téléphone, je ressens un certain malaise de sa part. Et j'ai beau en chercher la raison, je ne comprends pas ce qui lui prend. Elle a sûrement pitié. Ou est dérangée par mon handicap. Il y a des gens, comme ça, qui ont du mal à gérer leurs émotions face aux personnes en souffrance.

Dans tes RêvesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant