Chapitre 71

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   Hier, c'était mon anniversaire. J'imagine que c'est pour cette raison que lorsque j'ouvre la porte en ce samedi après-midi, ce n'est pas seulement Kyle que je vois débarquer chez mes parents. Axel est le premier que j'aperçois sur le palier, puis Hugo, Cara et Martin, et je crois bien qu'ils sont pressés d'entrer vu la façon dont ils sont emmitouflés dans leurs écharpes, bonnets et autres accessoires d'hiver.

— Happy birthday pretty girl ! chante Cara en enroulant ses bras autour de moi.

— Merci, soufflé-je.

La belle anglaise m'attrape par les épaules, elle debout, moi sur mon siège roulant, avant d'ajouter :

— Tu n'es pas contente de nous voir ?

Bien sûr que je suis contente. Mais j'ai surtout honte de me montrer aussi diminuée et dépendante. J'ai envie de me cacher, qu'ils repartent chez eux comme s'ils ne m'avaient jamais vue ainsi. Je sais que c'est idiot, ce sont mes amis. Mais je ne peux éviter ce sentiment d'abaissement que je ressens en leur présence. Malgré tout, leur bonne humeur me fait un peu oublier cette perception.

Plus tard, c'est Morgane et Charline qui se joignent au petit groupe. Encore une fois j'éprouve cet embarras de me montrer telle que je suis, mais je me fais violence pour enfouir ce ressentiment bien au fond de ma caboche cogitante.

Je suis heureuse de voir mes amis autour de moi cet après midi, mais j'avoue que l'envie de n'être qu'avec Kyle est sans égal. Parce que depuis que les digues de sa confiance ont enfin lâché, ce n'est qu'avec lui que je me sens moi-même. Je ne fais pas semblant de sourire, de faire bonne figure. Je n'en ai pas besoin, parce que je suis sincèrement heureuse en sa présence. 

Je lui parle de mes états d'âme sans avoir peur de l'embarrasser, lui me révèle enfin les siens, et j'ai cette impression qu'il est là, solide face à la tempête Alice qui risque pourtant d'exploser à tout moment. Il prend soin de moi comme si je pouvais me briser en mille morceaux. Pire que mes parents. Sa sollicitude démesurée devrait m'agacer. Mais je trouve ça plutôt mignon, à vrai dire. Et j'en ai besoin.

Cette fête, j'ai le sentiment de ne pas vraiment en faire partie. Un comble alors qu'elle a lieu en mon honneur. J'ai la sensation d'observer ce qui s'y déroule de l'extérieur de mon propre corps, la musique, les voix me paraissant lointaines, comme si je n'étais pas vraiment là. Et je me laisse passivement porter par les heures qui passent, subissant les questions et rires convenus des invités.

Vient le moment du gâteau ramené par mes parents en début de soirée, et je plaque ce faux sourire qui sied mon visage depuis l'arrivée de mes amis. La pièce est dans la pénombre, seules les vingt et une bougies éclairent les figures familières autour de moi. Sur mon siège roulant, je suis juste à la bonne hauteur de la table pour souffler sur les petites flammes vacillantes.

Une énorme mélancolie s'empare de moi lorsque mon entourage chante afin de m'encourager. Je les regarde un par un, et je ne sais pas dire si eux aussi font semblant d'être heureux pour moi. S'ils cachent la pitié que je leur inspire. Ils sont là à s'époumoner et à sourire, comme s'ils souhaitaient me faire imaginer que l'année à venir sera merveilleuse. Sur leur visage éclairé ça et là par le doré du feu qui se projette sur leur peau et leurs yeux brillants, je tente de déceler ce qu'ils pensent vraiment : "pauvre Alice", "je n'aimerais pas être à sa place", "comment elle fait pour se laver ?", "dire qu'elle est là, toute seule, coincée dans sa campagne profonde", "donnons lui un peu de baume au coeur, faisons lui croire que la vie reste géniale".

Lorsque je m'aperçois qu'ils ont achevé leur cacophonie, quelqu'un me demande de faire un voeu. Je regarde Kyle un instant, réfléchissant rapidement à cette requête. Je sais ce que je désire. Je souffle, on applaudit, on fait semblant de rire et d'être heureux, tandis que je n'arrive toujours pas à m'ancrer ici et maintenant.

Dans tes RêvesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant