Le reste de la semaine se passe dans une routine monotone et réglée comme du papier à musique. Je vais en cours, révise avec Axel à la bibliothèque, travaille à la crêperie, et effectue mes entraînements quotidiens bien entendu. Comme l'a souligné Kyle, pas de place à la distraction. Enfin, physiquement en tout cas. Mentalement, c'est une autre histoire. Dispersée, contrariée, chamboulée, voilà comme je me sens ces derniers jours. C'est incroyable cette dualité qui s'est immiscée en moi, en même temps que ce désir irrationnel pour Kyle. Terriblement appâtée par ce garçon qui me fait saliver, dévorée à l'idée que je ne puisse jamais y goûter, et tout à la fois bornée, résistante à ce désir gourmand. Tel un fruit si alléchant, mais surtout défendu, à ne toucher sous aucun prétexte pour éviter toute souffrance inéluctable.
Même si j'avais vraiment essayé de ne pas penser à lui, ça aurait été mission impossible. Avant chaque cours avec Morgane, j'avais le coeur serré et appréhendais de la voir de nouveau accompagnée. Et aujourd'hui, après trois jours de sursis, cela ne manque pas. Je vois un Kyle adossé au mur de notre salle de classe lorsque nous en sortons, tournant son beau visage vers nous dès notre arrivée.
Et, à ce moment précis, je comprends à quel point je suis une idiote. Samedi, je n'étais pas celle qui attirait son attention. Je revois alors la soirée se dérouler tout autrement. Il m'a proposé de nous ramener, n'a pas bronché quand Morgane a vomi sur ses Jordans toutes neuves, a été d'une patience sans égal lorsqu'il l'a portée sur cinq étages, est resté jusqu'à ce qu'elle ait vraiment l'air de s'en sortir sans coma éthylique, et est parti une fois qu'elle s'était rendormie. Kyle est intéressé par Morgane. Plus qu'intéressé même. Et elle, et son jeu de "ne_t'approche_pas_du_ grand_méchant_bad- boy", elle m'a bien eu aussi. Si ça se trouve, ils sortent ensemble et elle ne m'a rien dit.
Qu'est-ce qui me blesse le plus? Le fait qu'elle ne me fasse pas assez confiance pour me parler de ses amours? Le fait qu'elle me baratine à propos d'un connard à éviter à tout prix, parce qu'elle pense que je pourrais lui piquer son plan? Le fait de voir que Kyle ne s'intéresse absolument pas à moi? Je me sens trahie. Doublement trahie. Ca n'a pas de sens, j'en suis consciente. Aucun d'eux ne sait que je suis terriblement attirée par Kyle, et ils ne me doivent rien, surtout dans la mesure où il n'y a rien. Rien entre Kyle et moi. Et il n'y aura rien. Je me sens tellement abattue, et stupide aussi.
Alors que nous nous tenons tous les trois sur le seuil de la porte, je me sens très mal à l'aise en leur compagnie. Aussi, j'essaie de m'éclipser lorsqu'ils me proposent de retourner à la brasserie du coin. Je finis pourtant par céder. Parce que je veux savoir. Parce que je veux le voir.
Et nous nous retrouvons de nouveau dans ce même café, à cette même table, tous les trois.
- Vous faites quoi ce soir? demande Morgane.
Kyle me devance.
- Je sais pas trop. Peut-être un petit ciné. Ca vous tente?
Voilà qu'il se met à lui lancer des invitations.
- Ah ouais, bonne idée! répond mon amie, plus qu'enthousiaste.
- Moi je bosse, désolée, dis-je le regard sous terre.
Je sens tout à coup une angoisse me dévorer le coeur. Si je ne suis pas libre, elle ira donc seule avec lui. Cette idée me retourne le ventre. Sans y réfléchir davantage, je me lève pour partir. Autant ne pas attendre ce soir pour les laisser seule à seul. Autant leur donner l'opportunité de se rapprocher dès maintenant. Plus vite cette situation sera clarifiée, plus vite je pourrai tirer un trait sur cette attirance désespérée.
- Tu pars déjà? me demande Morgane, alors que je range précipitamment mes affaires. Ca ne va pas? Tu n'as pas l'air bien...
- Ca va, il faut que j'y aille, j'ai vraiment beaucoup de boulot, je souffle d'un ton sûrement trop sec.
Je perçois leur regard inquiet vers moi. Mes joues me brûlent, mes yeux s'embrument, et je me sens assaillie par une colère inexplicable. Je pars avant qu'ils ne se rendent compte de quoi que ce soit, si ce n'est déjà fait; ou en tout cas avant de me prendre une mauvaise réflexion dans la figure pour mon comportement étrange. Après un bref "salut" de politesse tout juste bredouillée, je me précipite vers la sortie, je suffoque.
Dehors, enfin. De l'air. J'en prends de grandes goulées, puis me dirige vers... n'importe où en fait. Juste loin de ce bar où j'étouffais littéralement. J'ai une subite envie d'appeler Axel et de tout lui raconter. Peut-être qu'il saurait m'écouter, et me conseiller, peut-être qu'il me donnerait la solution pour arrêter de penser à cet américain beaucoup trop beau pour moi, comme je le fais irrémédiablement. Je sors mon téléphone, appuie sur le nom précieux de mon ami dans mes contacts, mais finalement me ravise et remet l'appareil dans mon sac. Je ne veux pas en parler. Ce serait donner trop d'importance à quelque chose qui ne devrait pas en avoir. Il faut juste que je laisse tomber, que je me concentre sur tout ce que je dois faire, sur mes rendus, sur mes entraînements, sur.. sur... sur... Stop.
Je m'assoie sur les marches d'un petit porche d'immeuble haussmannien, le regard rivé sur le goudron, la pointe des coudes enfoncée douloureusement dans les rotules, les mains plaquées de chaque côté de mon visage, et j'essaie de me raisonner.
Après un moment, je me relève enfin, reprends mon chemin, et suis, encore une fois, déterminée à me détacher de cette situation qui n'en est pas une. Je reprends le cours de ma vie, décidée à terminer cette semaine en un seul morceau et le menton relevé. Ce ne sera pas à la minute, cependant...
Bon ben y a plus qu'à oublier Kyle, on dirait... 😜
Plus sérieusement, un grand merci pour vos votes, vos comm, votre soutien. Tout ça me permet de savoir que j'écris pour moi, mais aussi pour vous ❤
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Dans tes Rêves
RomantizmAlice est en deuxième année à l'université, à Paris. Entre la fac, le travail, et sa passion, elle n'a ni le temps, ni l'envie de se laisser aller aux plaisirs de la vie étudiante. Elle a un rêve à accomplir et elle s'en donne les moyens. Pourtant...