Dans tes Rêves

Chapitre 6

   Je viens d'arriver chez moi, enthousiaste à l'idée de passer la soirée en tête à tête avec Cillian Murphy*, bien au chaud sous la couette. Qui sait? Il réussira peut-être à lobotomiser une partie de mon cerveau, si je regarde assez d'épisodes de Peaky Blinders. 

Aujourd'hui, j'ai passé mon après-midi à la bibliothèque avec Axel, et j'ai cravaché dur. Nous étions à Beaubourg, cette fois. Le vendredi, il faut généralement faire la queue plus d'une heure, mais cet endroit me plaît trop pour que je m'en prive. Et puis comme nous sommes restés tout l'après-midi...

Tout y est grand, avec de l'espace partout, d'immenses baies vitrées, et du mouvement dans tous les sens. J'adore m'installer sur les larges tables du troisième étage, entre les rayons art et ceux des langues, où je peux voir le va-et-vient incessant des gens. Tellement de gens, qui fourmillent entre les rayonnages, dans les couloirs, dans la salle de photocopieuses. Quand je n'arrive pas à me concentrer, bizarrement tout ce remue-ménage m'aide à me focaliser sur mon travail.

Je me débarrasse de mes chaussures tout en retirant ma veste, range ensuite mes affaires dans le placard de ma petite chambre, lorsqu'un bruit fort et désagréable me fait sursauter. On sonne à l'interphone. Je n'attends personne...

Je patiente un peu, c'est sûrement une erreur. Mais une deuxième sonnerie retentit et m'oblige à appuyer sur le bouton permettant de parler à mon interlocuteur.

— Oui ?

– Salut Alice. C'est Kyle. Je... je peux monter?

Kyle. Kyle. Kyle. Mais qu'est-ce qu'il vient faire ici? Il a peut-être oublié un truc samedi dernier? Je m'en serais rendu compte quand même.

– Euh... oui, bien sûr, entre.

J'enfonce le bouton de l'interphone pour lui ouvrir la porte. Et là, c'est la panique. J'ai cinq étages. Cinq étages pour être prête à l'accueillir. Mince, je viens d'arriver, je ne sais pas à quoi je ressemble ; sûrement à une fille qui vient de passer sa journée enfouie sous des bouquins poussiéreux. Cette fois, pas question que je me retape la honte, avec un coup de stylo malencontreux sur le nez.

Mes mains balayent d'un geste nerveux mon jean slim et mon chemisier bleu marine pour en vérifier l'état, puis je me rue dans la salle de bain et jette un œil rapide à mon reflet dans le miroir ; après un petit coup de brosse dans mes longs cheveux blonds, tout est à peu près en ordre ici aussi. Je repasse alors dans la chambre, et me prépare un verre d'eau dans la kitchenette.

On toque à la porte.

Je prends le temps de boire mon verre d'une traite, m'essuyer la bouche du revers de la main, avant d'ouvrir doucement.

— Salut.

— Salut.

Nous restons l'un devant l'autre, à nous considérer, comme deux empotés. Je remarque à quel point son style pourtant simple le met en valeur : vêtu d'un jean bleu foncé, et un T-shirt gris clair sous une veste en cuir noir, sa silhouette de sportif m'intimiderait presque. Il est bien trop parfait pour moi.

— Je peux entrer ?

Sa voix rocailleuse me sort de ma rêverie.

— Hmmm... oui, désolée.

Je baisse les yeux sur ses Jordans et me déplace d'un pas sur le côté pour le laisser passer et refermer la porte derrière moi.

— Comment tu vas ? T'avais l'air... contrarié, hier au café, s'enquiert-il les sourcils légèrement froncés.

Son accent, pourtant presque imperceptible d'habitude, se fait remarquer aujourd'hui, et ça me plaît beaucoup trop.

— Non, ça va, j'étais juste fatiguée, je le rassure avec un petit sourire. Qu'est-ce que tu fais là ?