La guerre des Ailes de Pierre : les Royaumes de Feu

7 - Deux lunes

   Lazuli attendait devant l'estrade. Oh, cela faisait bien longtemps que cet Aile de Pierre messager avait terminé son discours, qu'il avait annoncé que leur peuple allait bientôt sortir de l'oubli et de la misère, qu'en quittant les mines ils seraient débarrassées de la maladie mortelle qui décimait leurs rangs, qu'ils rencontreraient de nouveaux dragons, que le monde serait beau désormais, qu'enfin les Ailes de Pierre verraient le soleil se lever...

   Sauf que c'était faux.

   Personne n'y croyait. Qui était assez crédule pour croire les stupidités de la reine Adamante ? Qui pouvait croire en un monde heureux où tout le monde serait à égalité, où l'on n'aurait pas à se cacher, où les pierres précieuses tomberaient du ciel ? Qui croyait en les dragons argentés qui les dirigeaient, hein ? Où étaient les dragons couleur bronze dans le palais de la reine ?

   Lazuli soupira, seul sur la place avec cette statue immense qui le fixait. Les pavés sales... De parfaites répliques des pavés du palais. Sauf que là-bas, ils étaient en marbre luisant, nacré et propre. Pas dégoulinant de crasse et de poussière.

- Lazuli ?

   Le jeune dragon se retourna.

- Ouais. C'est moi.

   Calcaire s'assit à côté de lui, dos à l'estrade et regardant la statue géante d'Adamante. 

- Tu as entendu cette nouvelle, hein ? On va tous sortir de ces trous paumés.

- Et pour faire quoi ? répliqua Lazuli à son ami. Pour devenir voleur dans ce truc Aile de Sable, le Repaire du Machin ? Ou paysan dans les marais ? Ou pêcheur de perles ? Non, merci. Je préfère garder les mines.

   Calcaire remua les oreilles, amusé.

- Tu étais le premier à te plaindre de nos conditions de vie.

- Étais? se hérissa Lazuli. Mais je le suis toujours !

- Moi, je ferai tout pour partir, dit Calcaire. Le seul truc qui m'embête...

   Il semblait un peu effrayé, étonnant pour un dragon comme lui.

- ... c'est la prophétie.

- Oh, ne reviens pas me faire chier avec ta prophétie de merde ! s'emporta Lazuli, battant le sol de sa queue. Tu sais bien qu'elle n'a jamais existé ! C'est le seul point sur lequel ce messager et moi sommes d'accord : les Ailes de Nuit nous ont OUBLIÉS, Calcaire. Ils n'ont pas à nous emmerder en nous déballant des prophéties stupides qui datent de je-sais-pas-combien de temps.

   Calcaire sourit.

- Peut être. Mais on ne change pas les mentalités d'un peuple mal éduqué qui veut juste de la bouffe et du fric. On a peur de la prophétie, voilà tout. On a peur des dragons de la surface... 

   Lazuli soupira encore.

- Je ne sais même pas ce qu'elle dit, c'te prophétie.

- Elle raconte, expliqua Calcaire, que les Ailes de Pierre ont été enfermés dans ces grottes parce qu'un gars de notre peuple a tué une reine Aile de Nuit.

- C'est TOUT ?!

- Bah ouais.

   Lazuli souffla par les naseaux. Sa lourde queue frappait encore les pavés.

- Hé, lui souffla Calcaire. Fait pas la tête. Au moins, on sentira le bon air. On verra le soleil!

- Le soleil, ça m'intéresse pas, répliqua Lazuli. Je veux voir les lunes. Je ne demande pas grand chose! Même pas les trois en même temps, si c'est pas possible ! Juste une ou deux lunes, pour voir si c'est vraiment vrai que sous les ailes des Ailes de Nuit, ça brille comme les étoiles, et que leurs yeux sont brillants comme les lunes... Explique moi, Calcaire. Que raconte EXACTEMENT leur prophétie ?

   Environ 3000 ans auparavant...

   Turquoise se cachait derrière une énorme statue. Il attendait patiemment. La reine ne tarderait pas à arriver, et, grâce à ses entraînements pour bloquer son esprit, elle ne pourrait pas entendre ses pensées. Peut être avait-elle déjà vu sa mort dans ses visions du futur ? Ça n'empêcherait pas Turquoise de la tuer.

   L'Aile de Pierre assassin entendit des bruits de pas grâce à son excellente ouïe. Il se raidit et serra dans sa paume le poignard d'argent qu'il tenait. Elle arrivait... Accompagnée de trois autres dragons. Turquoise s'enfonça encore plus derrière la statue. Il devait tous les tuer. La reine Deux-Lunes des Ailes de Nuit avait tué son frère. Oh, bien sûr, le frère en question avait été arrêté pour vol grave. Mais Deux-Lunes n'avait pas à l'exécuter et le torturer ! Elle aurait dû le confier à la justice Aile de Pierre.

   Pas ordonner sa décapitation et son arrachage de dents en place publique.

   Turquoise ne faisait que se venger, non ?

   La reine approchait. L'Aile de Pierre était prêt à sauter. Quand Deux-Lunes et ses trois gardes seraient à sa hauteur...

   Maintenant.

   Turquoise bondit et planta son poignard dans le crâne de Deux-Lunes. En plein dedans ! La reine aux écailles noires s'effondra. Elle était morte sur le coup. Un garde renversa Turquoise, qui le griffa violement au flanc, alors il le lâcha en hurlant et un autre tenta de lui transpercer le ventre de sa longue lance. Turquoise abattit sa queue immense et solide sur sa tête, il tomba évanoui sur le sol. Mais le troisième garde était derrière, il profita d'une seconde d'inattention de Turquoise pour lui mordre l'aile. L'Aile de Pierre hurla, mais le garde de Nuit souffla une langue de feu brûlante sur la morsure. 

   Sauvagement, l'assassin repoussa le garde sur son compagnon évanoui tandis que le premier appellait à l'aide. Turquoise s'enfuit en courant dans un couloir tout près.

   Il ne savait pas où il allait, il allait se faire tuer, mais il avait réussi. Il avait vengé son frère. Désormais, la cruelle reine Deux-Lunes des Ailes de Nuit n'était plus. Ne restait que sa fille pour retrouver Turquoise... Mais il serait loin, très loin. 

   Les Ailes de Nuit ne pouvaient pas se venger, maintenant !

   Environ 3000 ans plus tard... 

- Donc, c'est à cause de ça qu'on est coincé dans nos mines, conclut Calcaire à Lazuli. À aussi de cet assassin qui voulut se venger.

- Ce n'est pas juste, répondit son ami. Parce qu'un type a voulu venger son frère, le peuple entier est maudit. 

- La malédiction est brisée, désormais! Nous sommes tous amis! Les Ailes de Nuit et les autres ne nous déclareront pas la guerre à cause d'un meurtre il y a 3000 ans. Aucun risque.

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Image : mon dessin