30 - Après tout ce temps

282 26 21
                                    

- Anguille ! Cormoran !

   Nacarat courait à toute vitesse dans le palais de l'Ile, sans vraiment savoir où il allait, cherchant la reine et sa fille. Elles étaient là, toutes les deux, en sécurité, depuis tout ce temps.

   Cyan courait derrière lui, tentant de le rattraper en criant "Mais revenez ! C'est de l'autre côté", ou "Attendez-moi !" ou encore ''Arrêtez ! Je n'ai jamais dit que le reine voulait vous voir !". Mais l'Aile du Ciel s'en fichait. Il voulait juste revoir Anguille, et il n'avait jamais été aussi proche.

   Il entra dans une salle, pour voir si elle n'était pas là, mais rien que des Ailes de Mer cuisiniers qui n'avaient pas l'air de comprendre ce que faisait cet Aile du Ciel ici. Ils tenaient des morceaux de poisson et des tentacules de poulpe, prêts à cuisiner quelque chose avec, et Nacarat se souvint que dans ce royaume rien n'était (malheureusement) grillé. 

   La salle suivante était un dortoir collectif pour les gardes du palais. Tout prêt de l'entrée dormait un immense soldat aux écailles couvertes de brûlures, et Nacarat reconnut l'un des gardes de la princesse Pieuvre. Mais pas d'Anguille ici.

   Alors il repartit en coup de vent vers la porte suivante, ouvrit la porte mais c'était une salle de classe presque vide, où il y avait cinq dragonnets dessinant qui tournaient le dos à la porte : un bleu, une verte, un gris, une rouge et un indigo.

   Il repartit vers la porte suivante. Puis se figea d'un coup, et Cyan derrière lui faillit lui rentrer dedans.

    Rouge ?

   Nacarat repartit dans la salle de classe. Il n'y avait personne pour surveiller les dragonnets. Il se pencha par-dessus la table pour regarder les dessins ; presque tous griffonnaient des choses ressemblant vaguement à des poissons, sauf Cormoran, qui dessinait une montagne couverte de forêts. Il trouva le courage de sourire.

- Bonjour.

   Les dragonnets sursautèrent en chœur, et levèrent la tête vers l'Aile du Ciel se penchant au-dessus d'eux.

- Bonzour monsieur ! dit l'indigo.

- Pourquoi il est tout rouge ? demanda le bleu.

- Nan, z'est du roze, répondit l'indigo.

- C'est pas du rose, bandes de poulpes, c'est un Aile du Ciel, répliqua la verte.

- Ah oui, comme toi, Cormoran, fit le gris.

- Toi-même, Galet, répondit-elle en lui tirant la langue. 

- Ouais, bah moi je suis un Aile de Mer, plaqua le bleu. Na !

- T'es un imbézile, zurtout, murmura l'indigo.

- Qu'est ce qui nous veux, le dragon ? dit la verte.

   Nacarat était resté là à les écouter. Les dragonnets étaient vraiment mignons, parfois. Lui ne souvenait pas avoir été aussi bavard dans son enfance. Il passait son temps dans la nursery à tenter de voler plus haut que les autres et jouer à la bagarre. Chaque fois, c'était lui qui devait faire l'Aile de Pluie... 

- Hum. Je voudrais parler à Cormoran.

- Ah oui, c'est mon papa, effectivement, remarqua la dragonnette hybride.

   Elle sauta sur le dos de son père et escalada ses pics dorsaux pour atteindre sa tête.

- Je me demandais où tu était passé. Je ne te voyais plus ! C'était la grosse tempête, hein ?

   Nacarat lui sourit. La tempête était loin derrière, désormais. Il l'avait enfin retrouvée. Et tout allait bien ! Il avait l'impression de ne plus pouvoir penser. Tout va bien, répétait son cœur, ça y est !

- Je suis content de te revoir, ma petite plume.

- Petite plume, ricana la verte. C'est pas une plume, on n'entend qu'elle quand elle descend les escaliers.

- Ouais, mais toi tu ronfles comme un éléphant de mer ! répliqua Cormoran, perchée entre les cornes de Nacarat.

- Z'avoue.

- Toi, tais-toi ! 

   Et les dragonnets repartirent dans un débat composé de "Toi, tais-toi" et de ''Toi, t'es toi", ce qui finit de perturber Nacarat qui sortit de la salle de classe, sa fille toujours sur sa tête.

- Où est ta mère ?

- Maman ? J'crois qu'elle est dans un des bureaux. En haut.

   Nacarat ignora Cyan qui les suivait encore ("Ah, vous l'avez retrouvée !") et retourna dans le hall immense et remonta les escaliers. Les mêmes qu'il avait emprunté pour se faire ensuite virer par les gardes royaux. 

   Qui étaient encore là, d'ailleurs.

- Encore vous ?! s'écria l'un d'entre eux.

- Je veux rentrer.

- Pfff, soupira un autre garde, c'est le quatrième aujourd'hui. A croire qu'ils veulent tous un autographe...  

   Ils éclatèrent de rire. Mais Nacarat ne se laissa pas démonter.

- Je dois voir la reine !

   Ils rirent de plus belle.

- Ouais et puis moi j'ai faim je veux mon goûter alors laisse papa rentrer espèce de gros lamantin !

   Les gardes jetèrent un regard agacé à Cormoran, avant de sauter en l'air et d'ouvrir la porte et s'incliner, à la grande surprise de l'Aile du Ciel.

- Sa Majesté Royale la Princesse Héritière Cormoran fille de Sa Majesté la Grande Reine Anguille des Ailes de Mer, annoncèrent-ils en un souffle.

   Nacarat entra alors dans le vaste bureau. Il y avait une grande baie vitrée, avec vue sur mer, et des tapisseries représentant des Ailes de Mer couronnés aux murs. Au centre de la pièce se trouvait une table de pierre, et, penchée dessus, une dragonne bleue sombre, aux ailes immenses, couronnée de saphirs.

- Salut maman ! dit Cormoran en sautant à terre.

   Elle se retourna, vit sa fille et lui sourit.

- Bonjour, petite perle.

   Et elle se redressa, croisant le regard de Nacarat. L'Aile du Ciel sentit son rythme cardiaque s'accélérer brusquement. Après ces longues années, cette interminable attente, sans savoir si un jour il la reverrait, enfin, le moment était arrivé.

   Il plongea ses yeux dans les siens, et comprit qu'Anguille aussi avait attendu ce moment toutes ces années. Elle avait un sourire sur le visage, tête penchée, et il se demanda s'il valait mieux approcher ou ne rien faire, et il sourit en retour.

- ESPECE D'IMBÉCILE SANS CERVELLE, TÊTE DE BIGORNEAU REMPLIE DE BAVE D'HUÎTRE ! COMMENT PEUX-TU OSER REVENIR ICI APRÈS TOUT CE TEMPS? APRÈS ÊTRE PARTI COMME UN LÂCHE AVEC NOTRE OEUF ?! TE CACHER LA-BAS COMME SI JE N'AVAIS JAMAIS EXISTÉ ? COMMENT OSES-TU POINTER TON MUSEAU DANS MON PROPRE PALAIS ! 

   Les yeux verts d'Anguille brillaient de colère. Elle s'approcha de Nacarat, menaçante.

- METTRE TES SALES PATTES DE TRAÎTRE DANS CET ENDROIT? ET REVENIR AVEC MA FILLE ! APRÈS L'AVOIR PERDUE ! ET LAISSÉE TOUTE SEULE DANS LA TEMPÊTE ! PÈRE INDIGNE, TU M'AS LAISSÉ ICI ET J'AI ÉTÉ OBLIGÉE DE ME MARIER AVEC UN TRIPLE IMBÉCILE !

   L'Aile du Ciel recula précipitamment quand la reine furibonde pointa une griffe vers son visage. Mais il fut bien obligé de s'arrêter – le mur – et elle s'approcha de lui.

- Je t'aime, conclut-elle.

   Et elle le serra dans ses ailes.



----------

Image : mon dessin

La guerre des Ailes de Pierre : les Royaumes de FeuOù les histoires vivent. Découvrez maintenant