La guerre des Ailes de Pierre : les Royaumes de Feu

39 - L'armée des vagues

   La lance avait transpercé la fenêtre. Partie dans un éclat de verre brisé, cassant la grande baie vue sur mer, sous les regards choqués, vert mousse, rouges, bleu océan, carmins, et surtout les yeux exorbités, bleu saphir, de la princesse Pieuvre.

- Quoi ! rugit-elle. LANCE ! Reviens ! Reviens immédiatement !

   Pieuvre déploya les ailes, prête peut-être à s'envoler par la fenêtre, mais Nacarat fut plus rapide qu'elle. Il se planta devant la jeune Aile de Mer verte et la plaqua au sol, vivement.

- Toi ! grogna-t-il. Je ne sais pas ce que tu veux, mais ce que tu as fait là ! Mérite LA MORT !

   La princesse Aile de Mer siffla de colère.

- Lâche-moi, saleté d'Aile du Ciel ! Personne ne m'empêchera de faire ce que je veux, et encore moins un ennemi de mon peuple ! Lance ! TUE-LE ! TUE-LES TOUS !

   Mais aucune pique ensorcelée ne revint se planter dans le cœur de Nacarat. Toujours assis sur Pieuvre, il maintenait ses pattes en place et l'empêchait de bouger. Calmar avait l'air choqué, larmoyant, les griffes tremblantes. La petite Cormoran, silencieuse, n'avait pas l'air de comprendre ce qui se passait, et encore moins sa mère.

   Anguille était crispée à la même place, clignant des yeux lentement, ne bougeant pas, réalisant à peine qu'elle venait d'échapper à une tentative d'assassinat.

- RAAAAAH ! hurla Pieuvre. MAIS LAISSEZ-MOI LA TUER ! ESPECE D'INCAPABLE ! CALMAR ! VAS-Y !

   Nacarat lui flanqua un coup sur le museau.

- Pourquoi... ? murmura Anguille. Pourquoi... ?

- Tu vas bien ? demanda Nacarat, se penchant vers elle.

- LAISSE-MOIIIIIII ! hurlait encore Pieuvre.

- ... Pourrait aller mieux. Maintenant, nous avons quelques questions à poser à cette dragonnette.

   La reine approcha, sa queue bleue s'agitant lentement derrière elle. Elle avait la tête haute et un air menaçant. Nacarat se demanda un instant s'il pourrait supporter ce regard si un jour il lui était destiné... Peut-être que non.

- Pieuvre, gronda-t-elle. Puis-je savoir pourquoi tu as osé une chose pareille ? Depuis quand es-tu animus ? Où as-tu trouvé cette lance ? Qu'as-tu fait de tes gardes ? Et Calmar, qu'as-tu à faire dans cette histoire ?

   Le roi écarta les pattes, sa respiration plus sifflante que jamais.

- Je te jure que je n'ai rien à faire là-dedans, Anguille ! Je ne savais pas ce qu'elle voulait faire ! Epargne-là, elle est tellement jeune !

- Jeune peut-être, mais dangereuse et folle à lier, répliqua son épouse.

- JE NE SUIS PAS FOLLE ! 

- Toi, ferme-là ! ordonna Nacarat. Et obéis à ta reine !

   La princesse aux écailles vertes le fusilla du regard mais cessa de se débattre. Elle siffla encore de rage.

- Un jour, je vous aurais tous, traîtres à mon peuple ! Vous verrez le pouvoir animus déferler contre vos têtes creuses et vous MOURREZ TOUS.

- Pieuvre ! implora Calmar. Je ne sais pas ce que tu fais, mais arrête ! Tu fais honte à notre famille ! Et dire que je t'ai élevée toutes ces années... 

   Pieuvre tourna la tête vers lui, ses yeux semblant sortir de leurs orbites.

- Tu n'as jamais rien fait pour moi ! Juste m'abandonner à mon sort et tout apprendre SEULE et tu n'es rien qu'un MOLLUSQUE INUTILE, Calmar ! JE TE HAIS ! Tu n'as jamais levé une seule griffe pour aider les Ailes de Mer ! Tu restais juste à t'ennuyer dans ton palais en laissant ton peuple MOURRIR ! Et toi, saleté d'Anguille ! Sauf avoir une horreur avec un inconnu tu n'as RIEN FAIT NON PLUS.

   Elle haleta, son regard de saphir empli de haine et de rage non-contenue.

- JE suis la SEULE, ici ! Je suis la seule à pouvoir faire quelque chose pour arrêter cette guerre parce que je suis la SEULE À LE VOULOIR ! ET TOI, ESPÈCE DE –

   Elle dut s'arrêter, ses cris étouffés par la patte de Nacarat sur sa gueule.

- Il vaut mieux qu'elle se calme avant de commencer à l'interroger, soupira Anguille. Je ne pense pas qu'elle soit en point.

- Je ne pense pas qu'elle se calmera un jour, objecta Nacarat.

   Il desserra cependant sa prise sur la princesse, doucement. Anguille se retourna, cherchant des cordes ou des chaînes pour l'attacher.

- Anguille... soupira Calmar. Je suis vraiment désolé. Je ne sais pas ce qui lui a pris... Elle était complétement normale, même tout à l'heure. Oh là là, mais comment ai-je fais pour ne pas sentir ça venir... Depuis la mort de sa mère, elle est un peu bizarre mais... Pas à ce point-là... 

- Oh, ça je le sais. Je la vois tous les jours.

- Je ne sais pas si je suis à la hauteur, continua Calmar. Elle a raison, je n'ai jamais rien fait de ma vie... 

   Ce fut au tour de la reine de soupirer.

- Tu ne vas pas t'y mettre. Je déteste ces scènes mélodramatiques !

- Je vais abdiquer ! déclara le roi, déployant les ailes. Comme ça tu pourras épouser celui que tu veux et moi je vais bien trouver autre chose !

   Anguille se retourna si vivement que ses os craquèrent. 

- PARDON ?!

- HIYAAAAAH ! hurla Pieuvre en rejetant Nacarat. IMBÉCILE !

   Elle sauta par-dessus son grand frère à la vitesse du poisson-voilier et attrapa Cormoran entre ses serres, et cette fois décolla pour de bon. Malgré le coup de griffe de la reine en travers de l'aile, elle balaya l'air de sa longue queue et s'envola par la fenêtre sans que personne ne puisse l'arrêter.

- CORMORAN ! vociféra Nacarat. NON !

   Mais trop tard ; elle avait plongé dans les profondeurs de l'océan.

- Appelle les soldats ! hurla Anguille à Calmar tandis que Nacarat décollait à la poursuite de Pieuvre. VITE !

   L'ex-roi se précipita dehors, criant des au-secours à pleine voix.

- CE N'EST PAS TERMINÉ, PIEUVRE ! beugla la reine par la fenêtre. LES AILES DE MER VONT DÉFERLER SUR TOI COMME LES VAGUES DE LA TEMPÊTE ! ET CE SERA À TOI DE RENDRE DE TES CRIMES !