32 - Camouflage

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- Arrête de bouger, ordonna Joyau.

   Harfang cessa aussitôt de remuer la queue. Dans la chambre la neige tombait par la fenêtre ouverte et tombait sur le sol et les écailles des deux dragons.

- Tu me chatouilles !

   La princesse de Pierre ne répondit rien. Elle se contenta de passer ses griffes entre les écailles de l'Aile de Glace, griffes trempées de peinture bleue. Elle tentait de créer des motifs sur les écailles de son mari, de créer des ombres entre ses cornes, de peindre son ventre de traces de peinture légère. Elle essayait aussi de saupoudrer du givre sur ses ailes blanches, mais le prince ne cessait de gigoter et la neige retombait.

- Essaye de prendre des têtes différentes, tu vois ? conseilla Joyau. Fais comme si tu étais... Vraiment grognon. Insupportable. 

- Hmmm, d'accord. 

   Il montra les dents et serra les poings.

- Grrrr, je suis très méchant et grognon, rouargh, grrr. Je vais te mordre si tu t'approches trop. Grrr.

   Joyau le considéra un instant de ses yeux rouges, puis soupira.

- Pathétique...  Mais je pense que le déguisement est bon.

   L'Aile de Glace tourna le tête dans toutes les directions pour voir ses écailles, auparavant blanches éclatantes et désormais couvertes de motifs de triangles bleu glacé. Il déploya les ailes, et tout le givre tomba à ses pattes.

- Ouais, presque prêt, sourit-il.

-Qu'est-ce qu'on peut faire pour que tu ressembles encore plus à un dragon différent ?

   Joyau enroula sa queue autour de ses pattes. Son propre déguisement était déjà prêt. Ses écailles étaient restées argentées, mais toutes ses touches rouge rubis avaient été recouvertes de peinture blanche. Ils avaient accroché à sa queue-massue des stalactites arrachées du plafond du palais, et avaient considéré que ses quatre cornes ressemblaient suffisamment à celles des dragons de Glace.

   Enfin, il y avait beaucoup de lacunes dans ce déguisement : ses cornes et épines étaient noires, vaguement couvertes de neige, on voyait encore sa queue-massue et elle n'avait pas la même morphologie que les Ailes de Glace mais cela suffirait.

   Cacher Harfang allait être tout aussi dur, car tout le monde ici connaissait le visage du prince. 

- On pourrait peut-être mettre des bijoux ? proposa-t-il. 

   Joyau acquiesça, et se retourna vers une armoire. Elle en sortit plusieurs colliers et bracelets d'argent, assortis à ses écailles, des cadeaux de la reine Gel à sa belle-fille. À ce moment, quelqu'un toqua à la porte dans un cliquètement sec de serres.

- Vous avez besoin d'aide, Majesté ? fit la voix aigüe de la servante attitrée de Joyau.

- Non, ça ira ! Surtout, que personne n'entre, répondit l'Aile de Pierre. Je suis, heu, en train d'essayer des bijoux, je ne veux pas d'avis extérieur pour l'instant.

- Bien.

   Les pas de la dragonne de Glace s'éloignèrent de la porte, repartant dans le couloirs gelé. Harfang haussa les épaules.

- Excuse improvisée, mais apparemment ça passe. 

   Joyau souffla un nuage blanc par les naseaux. Elle enfila un des colliers et prit deux bracelets délicatement forgés, pile pour cacher les écailles de ses pattes.

- Je sais, tu n'as qu'à mettre une armure ! s'exclama-t-elle. 

   Harfang la dévisagea un instant. Puis :

- Pourquoi pas toi ?

- Parce que tu joues le rôle d'un garde du quatrième cercle, tu te souviens ? Et moi, je suis trop petite et pas assez musclée pour faire semblant d'être une soldate. Mets une armure. Et un casque.

   Harfang haussa les épaules une nouvelle fois et s'envola par la fenêtre, dépliant ses ailes peintes pour descendre au niveau inférieur, le niveau des gardes. En attendant, Joyau ajusta ses bijoux et s'efforça de masquer au mieux ses cornes noires.

   Quelques minutes plus tard, Harfang revint en portant dans ses serres crantées plusieurs pièces d'armures, les lâcha sur le sol de la chambre, et ferma les rideaux. 

- On ne dirait pas, mais c'est sacrément lourd ! Heureusement qu'il n'y avait personne dans la salle, j'aurais eu du mal à m'expliquer... 

   Le prince accrocha à ses ailes les épaulières et enfila le large plastron. Joyau l'aida à mettre les pattes arrières et le casque, et au final il ressemblait assez à un garde. Ne manquait plus qu'une lance, mais ça ferait l'affaire.

- Ok, résumons, commença Joyau. Tu es Morse, un soldat du quatrième cercle qui n'a absolument aucune personnalité, et moi je suis ta sœur Conifère. Même cercle. On vient d'un village à l'autre bout du Royaume. On a reçu l'ordre de Joyau, et de Gel, d'aller chercher un bijou très précieux de la famille royale, ainsi que des nouvelles des Ailes de Pierre. On emporte des armes, et on ne se fait pas repérer.

- Et on file rapidos. C'est ça. Facile !

   Harfang sourit. Les motifs de triangles de ses écailles n'étaient pas si naturels que ça, mais avec de la chance et un talent d'acteur... Il s'apprêtait à ouvrir la gueule encore une fois, mais on toqua de nouveau à la porte.

- Majesté ? fit la voix empressée de la servante. 

- Quoi ? répondit Joyau, quelque peu irritée.

- J'ai une très mauvaise nouvelle à vous annoncer ! s'écria la dragonne. Très mauvaise !

- Plus tard, ordonna la princesse. Je suis occupée.

- C'est de toute importance ! insista la servante.

   Joyau fronça les sourcils. Le ton alarmé de la dragonne ne lui ressemblait pas du tout. Que pouvait être cette importante nouvelle ?

- Qu'y a t-il ? 

- C'est votre mère, Majesté, la reine Adamante ! Elle... La reine est morte, Madame !

   Silence.

- Morte !? s'étrangla Joyau. Comment est-ce possible ?!

- Oh, bah plus besoin de déguisement du coup, murmura Harfang en retirant le casque.

   Joyau s'était comme effondrée sur elle-même, yeux dans la vague. La reine, l'invincible reine ? Mais comment était-ce possible ? Après toutes ces années à prier pour la mort d'Adamante, maintenant elle était finie, enterrée ? Mais comment ?!

   La servante toujours derrière la porte n'osait pas entrer, et Harfang passa son aile sur l'épaule de la princesse.

   La reine, désormais.

   La neige tombait encore, et même les rideaux fermés laissaient passer par le vent les flocons blancs cotonneux. Et une griffe crantée, aussi. 

   Trois dragons de Glace jaillirent du dehors et se jetèrent sur Joyau griffes devant, dans le silence le plus total, et tout devint noir.

La guerre des Ailes de Pierre : les Royaumes de FeuOù les histoires vivent. Découvrez maintenant