Je raccroche au téléphone et allume directement la musique. Je laisse l'application choisir pour moi. Aussitôt, Carol of Bells envahit mes oreilles et une pointe d'angoisse envahit mon cœur. J'ai toujours trouvé ce chant de Noël oppressant. Les voix des enfants. La musique rapide.
La version orchestrale est celle qui me fait frissonner à cet instant. Au-delà du chant en tant que tel, ce sont les musiques liées à Noël que je n'apprécie plus. Je n'ai des souvenirs que peu agréables des fêtes de fin d'année. Je retiens les fois où j'ai perdu des êtres chers, parfois définitivement, parfois moins.
Très tôt, mes grands-parents sont partis pour d'autres horizons. J'avais tout juste eu le temps de leur reconnaître ce titre. Tout juste eu le temps d'apprendre à vivre avec eux cette relation qui n'était pas naturelle. J'ai dû profiter d'eux un an, tout au plus. Ils sont partis ensemble, à quelques jours d'intervalle.
Dieu sait s'ils me manquent. J'aurais voulu partager avec eux toute ma vie. Ils auraient dû voir ce que j'ai fait. La manière dont j'ai pu construire mon entreprise. Comment mes parents ont détruit tout ce que je pensais immuable. Parce que oui, mes parents, ont eux aussi disparus. Rayés de ma vie.
Ou bien devrais-je dire qu'ils m'ont rayé de ma vie. Je n'ai rien demandé, moi. Ma sœur et moi nous sommes sentis orphelins ce jour-là. A Noël. Tout juste majeur. Notre famille était déjà décimée. Mes grands-parents me manquaient toujours autant, et les cousins, cousines, tantes et oncles n'étaient plus là.
Ce n'était pas Arnaud, mais c'était un autre. Nous étions le vingt-quatre au soir. Je leur ai demandé si je pouvais inviter un ami. Mon ami. Je n'aurais pas dû le préciser. Sans violence, sans cri, ma mère a préparé mes affaires et les a entreposées dans des sacs. Mon père l'a laissée faire, bien davantage par ignorance que par méchanceté.
Dans un de ces sacs, elle avait mis tous les cadeaux que j'avais pu lui faire. Même ceux faits à l'école primaire. De mes mains. Même ceux payés avec mes premiers salaires. Elle m'a rendu tous les bijoux. Mais elle n'a rien dit. Rien du tout. Les sacs se sont juste entreposés devant la porte.
J'ai regardé ma mère faire pendant quasiment une heure. J'ai senti que la croix qu'elle portait autour du cou la brûlait. Comme si elle était soudainement portée par un devoir divin. Mon père ne faisait rien. Elle me détestait et me reniait, guidée par sa foi. Il ne me comprenait pas, dégoûté, à cause du néant qui habitait son cœur et son cerveau.
Ma sœur a gardé le silence mais a commencé à préparer ses propres affaires. Et nous sommes partis tous les deux, dans son appartement. Nous avons fêté Noël tous les deux. Et nous ne les avons plus jamais revus. Je ne les hais pas. Je considère simplement qu'ils ont disparu. Ils ont disparu le jour où mon existence les a dérangés.
Je ne sais pas si j'ai envie que Lauren m'invite pour Noël. Peut-être que je devrais le faire moi-même. Après tout, je n'ai plus Arnaud pour me traîner dans sa famille. Là-bas, je n'étais qu'un trophée pour le cadet.
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Vie et mort d'un acteur (B&B)
Художественная прозаJérémy a pris une lourde décision qui ne manque pas de faire réagir son entourage : il veut devenir acteur. Non seulement il sait qu'il trébuchera de nombreuses fois, mais il doit composer avec ses proches qui tentent au mieux de l'en dissuader au p...