Chapitre 19 - 3

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Le chemin du retour est mouvementé. Nous sommes restés ensemble une heure, c'est-à-dire deux fois plus que le temps normal, la conduisant à accumuler un retard record. Je n'ose imaginer combien les patients qui me suivaient doivent me détester. Mais je n'en ai que faire, cette séance était nécessaire.

Elle m'a rappelé toutes les raisons qui m'ont fait venir ici. Je me souviens du tout premier psychiatre que j'ai rencontré. Je suis convaincu qu'il était extrêmement compétent. Le problème était que nous ne parvenions pas à nous comprendre, à nous entendre. Il était bien trop direct pour moi.

Et lorsqu'il a envoyé le dossier médical qu'il avait construit pour moi à ma nouvelle psychiatre, la première ligne indiquait que je n'avais pas de cohérence interne et qu'il n'était pas possible d'échanger sereinement avec moi puisque je ne voulais pas me révéler au thérapeute.

Bien entendu, ma psychiatre ne m'avait rien dit jusqu'au jour où notre relation est devenue si forte qu'elle a jugé que j'étais capable d'entendre ce qu'il avait écrit. Elle m'avait confié qu'elle avait pris compte ses remarques pour précisément parvenir à me faire parler, mais qu'elle se méfie beaucoup de cette histoire de cohérence interne.

Pour elle, oser parler de cohérence interne avec un patient signifie qu'il a potentiellement des troubles de la personnalité ou des troubles affectifs. En l'occurrence, selon elle, ce n'est pas mon cas. Elle pense plutôt que je souffre parfois de désorganisation, sans pour autant être bipolaire.

Quant au fait qu'il soit difficile de me faire parler, je me souviens de sa colère en lisant le dossier avec moi. Comment avoir envie de parler à quelqu'un que l'on ne connaît pas alors qu'on n'a déjà pas envie de parler à ses propres parents ou à sa famille. J'aime beaucoup ma sœur, mais nous n'aurons jamais de relation idéale.

Je sais que je n'ai pas d'empathie et de sympathie pour la plupart les personnes qui m'entourent. Je ne suis pas sensible ou hypersensible. Non, la seule sensibilité que j'ai, c'est quand il ne se passe rien. C'est sans doute pour cette raison que j'idéalise les plaines du Canada, là-bas où le temps et l'espace semblent s'arrêter.

C'est peut-être pour ça d'ailleurs que j'ai aussi mal réagi lorsque la première scène s'est effectuée par surprise. Je n'avais vu aucun signe annonciateur du possible tournage qui allait pourtant se dérouler sous mes yeux. J'étais davantage un spectateur de surcroît aveugle plutôt qu'acteur de cette scène.

Il a fallu en plus que Marshall, ou Malcolm, vienne mêler tous ces sentiments. Ou plutôt, précisément, l'absence de sentiments. Je n'arrive pas à comprendre exactement ce qu'il attend de moi ou ce qu'il espère de nous. Je n'ai à priori rien à lui offrir si ce n'est pour l'instant une attention sincère et quelques moments agréables dans l'un des deux lits de notre collocation.

Peut-être faudrait-il que je précise les choses avec Marshall. Que je parvienne à comprendre ce qui exactement motive toutes ces attentions vers moi. Je n'ai pas envie de blesser quelqu'un qui, si je comprends bien, n'a pas de comportement aussi fort avec ses collègues habituellement.

Vie et mort d'un acteur (B&B)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant