Chapitre 18 - 3

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Nous avons aussi pris le temps de parler de nous, parce qu'il était temps que je comprenne son comportement. Il n'a pas nié quand j'ai souligné qu'il n'agissait pas de la même manière avec moi qu'avec les autres colocataires ou bien les acteurs du studio. Il a ri quand je lui ai raconté ce que l'on m'avait dit sur lui et a confirmé.

Il a aussi compris quand je lui ai expliqué que je ne recherchais rien, nulle part, avec personne, pour l'instant. Je n'ai pas quitté une relation assez complexe pour plonger dans une nouvelle forme de couple que je ne connais pas encore assez bien. Après tout, moi, accepterais-je que mon conjoint soit acteur ?

C'est sur cette réflexion que le vol s'est achevé, ayant dormi bien plus longtemps que je ne le pensais. Arrivé là-bas, je suis attendu par les responsables en personne, enchantés de pouvoir compter sur mes services. Dans la voiture, à peine installés, j'ai eu droit à la fausse franchise des étasuniens : tout va bien chez eux – évidemment – mais ils préfèrent se projeter dans l'avenir.

Et l'avenir, ce seraient les plateformes. Je ne suis pas sûr. J'ai toujours pensé que l'avenir c'était plutôt la fin de la forte segmentation de l'industrie sexuelle. Que la pornographie se mette à vendre du sextoy, commence à envisager les tenues qui sont associées, voire se lance dans la parfumerie. X Anges a déjà son agence de mannequinat et je trouve que c'est une excellente idée.

Quant au numérique, peut-être faut-il miser sur de nouvelles formes de pornographie. D'échange aussi. La communauté discrète des studios réclame, veut connaître, cherche à apprendre toujours davantage sur les acteurs. Les webcams ont du succès parce qu'elles sont dans l'interaction. Les studios survivront quand ils cesseront d'éloigner les acteurs de leur public.

C'est ma vision du X à l'avenir. Mais je n'ai aucune envie de partager ces petits secrets avec eux. Alors j'applique la méthode classique du conseil : d'abord, le diagnostic. Je ne suis pas déçu et il a fort à faire. Voici de quoi justifier mes honoraires exorbitants. Quant aux sujets de partenariats, je n'ai pas à les aborder, puisque l'idée m'est discrètement soufflée.

Toujours est-il que le décalage horaire et les échanges intenses en anglais m'ont épuisé. J'arrive donc à mon hôtel avec une seule envie, me relaxer. Excellente nouvelle, ils disposent d'un bar en hauteur qui permet de profiter de l'océan sans que la relative fraîcheur – les dix degrés supplémentaires sont tout de même très agréables – ne vienne me mordre.

J'en profite pour envoyer la photo à Marshall et à ma sœur. Quitte à me rendre compte, mon cocktail à la main, que je n'ai personne d'autre à qui envoyer cette photo. Je me souviens du temps où mes réseaux sociaux ne comptaient quasiment personne. Je me souviens avoir dit que c'était dommage que mes photos de voyage n'intéressent pas.

Maintenant que ces comptes gagnent des centaines d'abonnés chaque jour, je regrette ce temps. Pas exactement. Je me rends juste davantage compte que je suis un peu seul. Ce n'est pas très grave. Loin de là. C'est simplement une question d'habitude. Et non pas d'inquiétude.

Il y a du rouge au cœur de l'eau. Un soleil qui n'en finit plus de mourir. Il y a du bleu noir dans le fond de mon cœur. Même lorsque le sublime serveur me propose une douceur au chocolat pour accompagner mon verre. Même ces bonbons à la guimauve ne suffisent pas.

Vie et mort d'un acteur (B&B)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant