Chapitre 6 - 3

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Ils ont détruit tout ce qui avait été nous. Ils ont détruit tout ce qui est en moi. Ils ont détruit tout l'espoir de cet avenir qui était si paisible. Ils ont préféré réduire l'avenir à un obscur écrin d'or. Ils ont préféré réduire le présent à un champ de bataille. Ils ont fait du passé une horreur sans nom.

Ce « ils » porte un nom. Ce sont mes sentiments, mes émotions et mes lueurs. Je les ai tant distanciés, tant mis de côté, tant malmenés qu'aujourd'hui ils me rendent tout ce que je leur ai pris. J'ai été incapable d'être bon, d'être passionné, d'être aimant, d'être à l'écoute. J'ai toujours cru que je n'étais qu'un égoïste qui ne servait que ses propres intérêts. J'ai découvert que pas davantage que les autres je ne m'appartenais.

Je ne suis que l'instrument de ceux que j'ai manipulés. Ils ont soufflé la flamme qui brûlait en moi. Ils ont rapproché les joyaux rouge vif de ma vie pour me montrer combien j'avais été incapable de les conserver. Ils ont porté en mon esprit tout ce dont j'ai rêvé, tout ce qui aurait fait mon bonheur absolu. Ils m'ont bercé d'illusions. Ils m'ont fait croire que j'avais réussi.

Demain comme aujourd'hui, je paierai mon dû auprès de ces joyaux brisés, de ces joyaux si proches qu'ils ont été brûlés, de ces joyaux si éloignés qu'ils se sont perdus. J'ai commis la pire des erreurs à croire que je pourrais toujours être celui que l'on essaierait de comprendre, que l'on regarderait avec un soupçon d'amour et une folie d'émotion. Je ne suis rien d'autre que le semblable de ceux que je méprise. Je ne suis rien d'autre que la pire des représentations de ce que je dénonce. Je suis devenu ce que je devais devenir. Un homme dépourvu de sentiments, tant il les a mis à distance de tout et de surtout de lui.

L'on entre dans ma vie comme l'on en sort, avec indifférence. Je n'ai pas su retenir ceux qui étaient en réalité pour moi plus que des hommes et des femmes d'une vie. Je n'ai pas su exprimer ce que je ressentais à celles et ceux qui ont forgé ma vie. Je n'arrive même plus à dire à ceux qui m'ont construit, à ma famille, à mes proches, que sans eux je serais depuis longtemps réduit à l'état de poussière. Je ne crois plus en ma capacité d'être l'homme fort, combattif et digne que j'ai été.

Obnubilé par des forces et des attractions qui m'échappaient, j'ai joué à un jeu sans règle, et donc sans cadre. Le précipice était à quelques pas, je n'ai pas su me retenir, et j'ai préféré poursuivre mon funeste chemin plutôt que de me retourner pour voir et comprendre qui j'avais été et qui y avait contribué.

Je ne suis plus à la hauteur de ceux qui étaient à mes côtés. Si tenté qu'un jour je l'eus été. J'ai reçu plus que je n'ai donné, et je n'ai pas su être celui que l'on espérait. Je suis devenu l'image que je donnais de moi, l'ombre de moi-même, qui a fait disparaître tout ce qui me restait. L'avenir et ses événements sonneront bientôt le glas de cette vie. J'entends déjà les scabreux chants de la victoire. Qui suis-je devenu pour avoir construit une telle horreur ?

Vous avez été les artisans de ma réussite, vous avez protégé la flamme qui m'animait. Aujourd'hui, le vent glacial vient d'éteindre le feu qui brûlait en moi, et mes émotions sont devenues des objets sans contenu et sans sens. Serait-ce donc le prix à payer pour s'être menti pendant des mois et des années ? N'ai-je donc jamais su ce qu'était l'amour ? N'ai-je donc jamais été l'ami que je pensais ? J'ai écrit le livre de ma vie telle une tragédie. La fin sera donc à sa hauteur.

Vie et mort d'un acteur (B&B)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant