Chapitre 19 - 1

284 25 3
                                    

« Je ne vous félicite pas Jérémy. Vous êtes en train de faire vaciller l'ensemble du programme que nous avons mis ensemble en place. Puis-je savoir ce qui se passe dans votre esprit ? Vous voulez arrêter ? »

Je connais ma psychiatre depuis très longtemps, et je n'ai que rarement rencontré cet air si foudroyant et si dur à mon encontre. Elle se veut toujours bienveillante, empathique, à mon écoute. Mais elle sait aussi me recadrer quand certains de mes schémas de pensée sont un peu trop aisés, faciles, autrement dit en ma faveur, plutôt que proches de la réalité.

J'ai commencé une thérapie avec elle parce que j'ai rapidement compris qu'il me serait impossible d'agir seul sur toutes les blessures que mes parents m'ont infligées. Toutes ces années à travestir ma personnalité, jusqu'à ce que je leur avoue la réalité, ont profondément marqué l'être en devenir que j'étais.

Pendant des années, à part ma sœur, je n'ai supporté personne. Je n'ai fait confiance à personne. Comment imaginer que les personnes qui vous ont conçu, qui sont censées vous aimer, qui sont censées vous éduquer, qui sont censées vous amener à l'âge adulte, comment imaginer que ces personnes soient capables de vous renier.

Nul besoin d'avoir fait des années d'études de psychiatrie ou de psychologie pour comprendre que lorsque ces personnes-là, qui ont le devoir suprême de vous aimer quoi qu'il arrive, cessent de le faire pour des raisons qui ne dépendent pas de vous, il devient impossible d'aimer et de faire confiance à qui que ce soit.

Jamais ma psychiatre n'a prononcé ces mots, n'a formulé cette réalité avec une telle violence, mais je sais dans son regard qu'elle pense sans doute pire de mes parents que je me suis moi-même capable de le faire. Ils ont sapé les fondements sur lesquels j'aurais dû m'asseoir pour pouvoir devenir un homme capable de tisser les liens forts avec ses semblables.

Ils m'ont volé l'essence même de ma propre humanité. Ils ont renié, pour des convictions que je ne comprends plus, la personnalité de leur propre fils. Je ne leur souhaite rien de mal, et pourtant je ne leur souhaite rien de bien. Je me demande si parfois ma mère pense à moi ou si pour elle définitivement j'ai disparu.

Alors quand ma psychiatre monte le ton avec moi, je sais qu'elle ne peut pas avoir tort.

« Je ne veux rien arrêter mais, concrètement, je ne comprends pas pourquoi mon comportement remet en cause l'ensemble de notre travail ».

Elle me regarde fixement, s'enfonce dans son fauteuil, et dans un silence uniquement brisé par le bruit de ses doigts qui frappent violemment le clavier de son ordinateur, elle attend. Pendant 5 minutes, elle attend.

Alors tout me revient à l'esprit, mes journées, mes échanges, mes décisions, ainsi que tout ce qui m'a été imposé par le studio ou par Marshall. Et je comprends, doucement, son courroux. Encore une fois, c'est son silence qui aura été le plus fidèle guide de ma réflexion.

Vie et mort d'un acteur (B&B)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant