Chapitre 44

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Ceres se concentrait, évitait les coups, se faufilait entre eux, haletait, couverte de bleus là où les bâtons l'avaient frappée. Maître Isel était face à elle sur le terrain d'entraînement et elle le fixait du regard. Alors qu'elle se tenait là, elle se demanda si elle avait eu raison de demander à ce qu'il recommence à l'entraîner si vite. Il avait semblé penser qu'elle n'allait pas encore assez bien, elle qui venait tout juste de se remettre de ses blessures. Cependant, elle avait insisté, déterminée à repartir s'entraîner, à s'améliorer, à être prête pour la compétition suivante.

A repartir se battre dans le Stade.

Dès qu'elle avait dit qu'elle était prête, Isel l'avait prise au mot et avait été plus dur que jamais avec elle. Il semblait savoir ce qui était en jeu, lui aussi.

“Bouge !” cria-t-il.

Alors qu'elle évoluait sur le terrain d'entraînement, Ceres essayait de suivre les instructions de Maître Isel. Il utilisait une paire de bâtons longs contre elle. Quand il les agitait, Ceres devait les éviter et parer avec l'épée d'entraînement qu'elle tenait.

Tourne dans l'autre sens !” hurla-t-il quand Ceres fit un pas vers la droite. Elle dut reculer quand il lui envoya un coup de bâton. “Ne recule pas immédiatement. Tu veux qu'un ennemi te poursuive ? Non, non, pas comme ça !”

Un des bâtons décrivit un arc de cercle et fit tomber l'épée de la main de Ceres quand il lui frappa l'avant-bras. Elle ressentit une douleur soudaine et regarda l'épée atterrir la pointe dans le sable.

“Si tu tends ton épée quand tu n'attaques pas, tu la perdras !”

Maître Isel envoya ses bâtons à la tête de Ceres pour prouver ce qu'il disait. Ceres roula par terre et se releva son épée en main.

Ceres bondissait, esquivait, bloquait et évitait mais, même ainsi, certains des coups arrivaient à passer. L'un d'eux lui coupa le souffle et elle dut se forcer à continuer le combat. Elle se battit jusqu'à ce que sa vue se brouille et que la sueur lui pique les yeux.

Finalement, Isel recula, l'observa et lui fit signe qu'il était temps de se reposer.

Elle se pencha sur son épée et fit une pause.

Du coin de l'œil, Ceres aperçut Lucious descendre dans l'arène pour s'entraîner. Il entra à grands pas, portant son armure complète, alors que personne d'autre ne la portait. Il regarda autour de lui, fit signe à un gardien d'armes et commença à s'entraîner avec lui, bien que le gardien d'armes n'ait visiblement aucune expérience. Lucious semblait adorer donner des coups de son épée d'entraînement à son adversaire sans protection.

Ceres s'arrêta pour regarder quand, soudain, un coup sec d'un des bâtons de Maître Isel la ramena au moment présent.

“C'était la pause !” s'exclama-t-elle, indignée.

Il sourit.

“Ne fais jamais confiance à ton adversaire.”

Ceres recommença à éviter les bâtons en constant mouvement. L'entraînement se poursuivit jusqu'à ce que Maître Isel finisse par se reculer.

“Ça va pour l'instant”, dit-il avec un hochement de tête. “Va boire. On recommence après.”

Ceres se dirigea vers l'endroit où un groupe d'autres combattants se tenait autour d'un tonneau d'eau et y puisait de l'eau à l'aide d'une louche. Ceres s'attendait à devoir les contourner ou à devoir attendre jusqu'à ce qu'ils aient terminé. Au lieu de ça, un seigneur de guerre aux muscles bien noués et à la tête rasée lui passa la louche.

“Tu t'es bien débrouillée”, dit-il. “La première fois que Maître Isel s'est servi des bâtons avec moi, je me suis fait frapper une douzaine de fois.”

Un autre seigneur de guerre plus petit et aux cheveux dégarnis hocha la tête. Quand il parla, Ceres fut certaine qu'il devait venir des terres septentrionales de l'Empire. “Tu t'es bien battue, aussi. Tu ne t'es pas enfuie. Devant une bête comme ça, la plupart des gens reculent mais toi, tu l'as affrontée. Tu as de bons instincts.”

Les autres ne parlèrent pas mais ce n'était pas nécessaire. Il suffisait à Ceres qu'ils semblent l'accepter là où elle était, lui faire de la place parmi eux quand elle allait boire l'eau dont elle avait besoin.

Bien sûr, il fallait que Lucious vienne tout gâcher. Il les poussa pour atteindre le tonneau d'eau, comme s'il n'avait pas eu une dizaine de domestiques à envoyer chercher de l'eau.

“Sortez-vous, les ploucs”, dit-il sèchement aux seigneurs de guerre. Ceres crut en voir un sourire.

“T'as entendu  quelque chose ?” dit-il.

Un autre haussa les épaules. “Probablement rien d'autre que le vent.”

Lucious les contourna et Ceres le vit rougir. Il se tenait devant elle et elle soupçonna que, s'ils avaient été seuls, il l'aurait frappée. C'était sans doute aussi bien qu'il y ait du monde, décida-t-elle. Elle aurait encore des problèmes si elle le frappait à son tour.

“Tu te crois futée ?” lui demanda-t-il. “Tu t'imagines que tu es une sorte de vraie guerrière parce que tu as survécu à un seul combat dans le Stade ?”

“Je ne me suis pas enfuie de l'arène, moi”, dit-elle.

Cela ne fit que rendre Lucious encore plus furieux. Il tendit la main vers sa ceinture, où pendait une épée. Cependant, ce n'était pas n'importe quelle épée. Quand il la tira, Ceres vit que c'était l'épée que son père avait fabriquée pour elle. Elle eut brusquement envie de tendre le bras et de s'en saisir, car une personne comme Lucious ne devrait jamais pouvoir toucher ce que son père avait fabriqué.

“Tu la reconnais ?” dit Lucious. A ce moment, il fit une chose que Ceres aurait crue impensable : il commença à démonter l'épée, à la réduire à l'ensemble de ses parties constituantes. Il démêla le cuir de la poignée en retirant le fil d'or. Il détacha le pommeau, désolidarisa la garde de la soie. “Je m'en lasse un peu.”

Ceres dut retenir sa propre colère. Elle sentit la main d'un des seigneurs de guerre se poser sur son épaule, pour lui tenir le dos ou pour lui apporter son soutien, elle ne savait pas. Comment Lucious pouvait-il faire une chose pareille ? Ne connaissait-il pas la quantité de travail nécessaire à la fabrication d'une épée comme ça ? Des morceaux de métal tombèrent par terre mais Lucious ne semblait pas s'en soucier.

“Pardonnez-moi, mon seigneur”, dit Maître Isel en approchant, “mais je pense que ces paresseux se sont assez reposés. Allez, au travail, vous tous.”

Ceres voulait ne pas tenir compte de cet ordre, voulait effacer le sourire du visage de Lucious à coups de poing, mais elle repartit vers l'arène comme l'avait ordonné Maître Isel.

Lucious lui cria quelque chose alors qu'elle s'éloignait. “Entraîne-toi autant que tu veux. Ça ne marchera pas. Demain, tu retrouveras mon combattant dans le Stade et tu auras beau danser autour de tous les bâtons du monde, ça ne te sauvera pas !”

La Cité De Délos(Tome 1) Où les histoires vivent. Découvrez maintenant