Thanos faisait nerveusement les cent pas devant la porte de Ceres, les mains moites, la gorge sèche, mal engoncé dans son armure trop chaude. Rien ne lui sentait aller bien. Rien n'allait bien. Il avait beau se rendre compte qu'il était obligé de se plier aux ordres de son oncle, il savait que Ceres ne comprendrait pas, qu'elle souffrirait et qu'elle lui en voudrait très probablement. Et ce qu'il y avait de pire, c'était qu'elle aurait raison de lui en vouloir. Il se détestait lui-même pour avoir accepté d'obéir à son oncle, et il souhaitait qu'il existe un moyen de se tirer de cette situation de cauchemar.
Thanos s'essuya la sueur qui lui perlait au front et jura en silence.
Il savait qu'il était absurde de faire les cent pas ici comme un imbécile d'ivrogne, car, comme le roi lui avait ordonné de partir immédiatement, il n'avait plus de temps à perdre. Cependant, Ceres méritait d'entendre la vérité de sa propre bouche même si ça devait creuser un gouffre gigantesque entre eux. Même si sa peur la plus grande devenait réalité : qu'elle ne veuille plus jamais le revoir.
Jamais.
Il ferma les yeux en pensant à cette horrible éventualité puis se rendit compte que, s'il était venu ici, c'était aussi pour une autre raison. Il avait profondément besoin de la revoir parce qu'il risquait de se faire tuer.
Il se réprimanda en se disant qu'il ne devrait pas penser à des choses qu'il ne pouvait pas contrôler.
Il serra les dents et frappa à la porte. Quand la nouvelle servante ouvrit, il entra.
Dès que Ceres le vit, elle pâlit.
“Merci d'avoir libéré Anka et de m'avoir permis de l'avoir comme servante”, dit Ceres.
Il jeta un coup d’œil à la fille et hocha la tête en direction de Ceres.
“Bien sûr. Ceres, puis-je te parler ?” demanda-t-il.
Thanos vit Ceres crisper les épaules. De plus, son regard perturbé lui confirma qu'elle savait que quelque chose allait vraiment très mal.
“Bien sûr”, dit Ceres.
“Peut-être pourrions nous aller marcher”, dit-il.
Ils allèrent dans le hall et prirent l'escalier qui montait sur le toit. Une brise chaude lui tirait sur les cheveux. D'ici, Thanos voyait la totalité de la capitale, les maisons qui avaient l'air d'avoir été bâties les unes sur les autres, et il entendait même les émeutes qui se déroulaient dans les rues.
Il s'arrêta à la véranda et se tourna vers Ceres. Elle était si belle, pensa-t-il, avec sa robe blanche qui soufflait dans le vent et ses cheveux blond vénitien qui ondulaient dans la brise. Cependant, ce n'était pas sa beauté qui le poussait à l'adorer à ce point. C'était sa soif de vie et de culture, et la passion qu'elle avait pour les gens et les choses qu'elle aimait.
Il inspira profondément, la regarda dans les yeux puis prit la parole.
“Le Roi Claudius a ordonné à l'armée royale de détruire la rébellion”, dit-il.
Ses lèvres se serrèrent légèrement. Elle se détourna de lui et regarda la cité.
“Était-ce là le sujet du message ?” demanda-t-elle.
“Oui.”
“Et comme tu es en armure, je suppose que tu vas être un de ceux qui va exécuter les ordres du roi”, dit-elle.
Il ne voulait pas le dire. Les mots lui restaient coincés dans la gorge comme de la mélasse.
“J'aurais voulu ne pas avoir à le faire mais je n'ai pas le choix, Ceres”, dit-il.
“On a toujours le choix.”
Thanos entendit que, même si Ceres s’exprimait d'une voix monocorde, elle se retenait de dire autre chose. Il savait avec certitude que tout ce qu'elle voulait faire, c'était lui crier dessus.
“Comment peux-tu dire que j'ai le choix ? Tu n'as aucune idée de ce que c'est de vivre sous les ordres du roi, scruté en permanence par ses yeux, sous une menace de mort qui t'attend toujours au tournant." “Mes frères sont là-bas !” hurla-t-elle, et les larmes lui montèrent aux yeux. “Et mon ami Rexus. Vas-tu les tuer si tu les vois ? Vas-tu tuer ceux que j'aime le plus ?”
Sa poitrine se remplit d'une douleur sourde quand il la vit contrariée, alors que tout ce qu'il voulait, c'était la faire sourire et se sentir en sécurité.
“Je comprends tu es en colère —” dit-il.
“Parce que c'est mon peuple !” cria-t-elle. “Et c'est aussi ton peuple, Thanos. Ne vous-tu pas que tu te bats pour un roi corrompu, du côté de l'oppression ? Est-ce donc ce que tu veux vraiment ?”
Serrant le poing, il resta silencieux.
“Tu vas te battre en faveur de la dictature même à laquelle tu essaies toi-même d'échapper. Tu ne comprends pas ça ?” dit-elle.
Il savait qu'elle avait raison mais il fallait qu'il obéisse ou le roi les rejetterait tous les deux au cachot sans le moindre scrupule, comme il avait menacé de le faire quand Thanos avait essayé d'émettre une objection.
Il serra la balustrade jusqu'à ce que ses jointures deviennent blanches.
“Il faut que je fasse ce que je ne veux pas pour obtenir les choses que je désire plus.”
Elle se tenait raide comme une planche et écarquillait ses beaux yeux émeraude, la bouche ouverte par le choc.
“Que pourrais-tu désirer plus que ta liberté et la liberté de ton peuple ?” demanda-t-elle.
“Toi !” dit-il.
Le regard de Ceres se déchira et les larmes lui montèrent aux yeux. Elle expira, regarda vers le bas et s'enroula les bras autour de la taille comme si cela pouvait lui protéger le cœur d'une façon ou d'une autre.
“Il faut que je parte maintenant. Je voulais seulement te dire où j'allais avant de disparaître”, dit-il.
“Ne pars pas. S'il te plaît !” murmura-t-elle, les bras pendants à ses côtés, les joues baignées de larmes.
“Je suis désolé, Ceres, mais il le faut.”
Son visage passa par une dizaine de nuances de tristesse et elle poussa un cri.
“Si tu fais ça, je ne te reparlerai plus jamais”, dit-elle d'une voix tremblante, sans être vraiment sûre de ce qu'elle disait. “Je … je le jure !”
Il la regarda s'enfuir et, bien qu'il ne désire rien de plus au monde que la rattraper et la prendre dans ses bras pour l'embrasser tendrement, il fut incapable de bouger. Il resta silencieux l'espace d'un instant, envahi par la colère et la honte.
Pour se sauver lui-même, il allait renoncer à tout ce qu'il aimait.
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La Cité De Délos(Tome 1)
FanfictionCeres,17 ans, fille pauvre et belle de Delos, cité de l'Empire, mène la vie dure et impitoyable d'une roturière. Le jour, elle livre les armes forgées par son père au terrain d'entraînement du palais, et la nuit, elle s'entraîne secrètement avec eux...