Chapitre 20 : Angélique (1)

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— Non, arrête, ça marche pas... Passe de l'autre côté, tu seras plus dans l'axe.

— Et fais attention à cette vitre, elle est déjà fissurée !

L'employé mis en faute émit pour simple réponse un grognement mécontent et obtempéra néanmoins aux instructions de ses collègues. La corde toujours en main, il se dirigea du côté opposé à l'objet qui leur posait problème depuis près de quinze minutes.

Une branche.

Une putain de branche énorme fichée dans les vitres de la serre principale des jardins, due au vent qui soufflait des rafales par intermittences depuis ce matin. Pour le moment ce dernier s'était calmé, et c'était tant mieux, parce que du haut de mon perchoir, c'est-à-dire le muret ceignant le domaine, où j'étais installée à califourchon, je n'aurais pas fait long feu si le vent s'était amusé à me bousculer.

De mon poste d'observation improvisé, je regardais les ouvriers s'activer autour de la grosse branche, éclairés par les lumières du palais et celles du jardin, qui s'activaient par détection de mouvement quand on ne changeait pas la commande. Sauf que là, pour moins d'embêtement, elles avaient été bloquées sur le mode fixe, allumées sans conditions.

Il fallait retirer la branche au plus vite : les serres abritaient des espèces florales rares et délicates qui ne supportaient pas les basses températures (entre autres), et quelque chose me disait que le nouveau trou dans le verre n'allait pas leur plaire. D'où l'agitation autour de l'accident. Cinq laquais appelés d'urgence, menés par un sixième à la vision plus affûtée, travaillaient à ôter l'imposante branche sans casser davantage de vitre ou abîmer les spécimens proches. Un peu curieuse et n'ayant surtout rien de mieux à faire, je m'étais posée pour observer la manœuvre, pensive et malgré tout un brin attentive.

— Tu aimes le spectacle ? demanda soudain une voix qui ne m'était pas inconnue.

Je sursautai et pivotai la tête, apercevant Logan, que je n'avais pas entendu s'approcher, en contrebas du muret. Je lui souris.

— Salut. Et oui, j'aime. Je me moque un peu de leur maladresse, mais ne leur dis pas, surtout.

— Promis.

Nous échangeâmes un faux sourire complice puis il se hissa devant moi, se positionnant également à califourchon, avec un peu moins d'adresse que moi, ce qui m'arracha un petit sourire amusé. Je balançai les jambes pour jouer avec les siennes. A présent, Logan était donc dos à la scène de la serre, que je continuai à regarder par moment d'un œil mi-intéressé.

— Encore une journée de passée, déclara mon petit-copain.

J'opinai distraitement, et levai les yeux sur le ciel étoilé...qui aurait du moins été étoilé si des masses de nuages épais ne le recouvraient pas presque intégralement.

Habitué à présent, il ne se formalisa pas de mon silence et laissa planer un blanc avant de reprendre la parole suite à un coup de vent. Il me demanda si je n'avais pas froid ; m'étant changée à la fin de mon service, je n'étais vêtue que d'un jean et d'un léger pull vert menthe.  Mais je secouai simplement la tête, même si ce n'était pas vrai. J'avais un peu froid. Mais je n'allais pas donner une occasion de plus à Logan pour me materner. Il tendit la main pour prendre la mienne et je le laissai faire. Un peu plus loin, les ouvriers avaient réussi à faire reculer la branche d'un bon gros centimètre, ce qui était déjà pas mal, à en croire les encouragements qui fusaient, et le nouveau regain d'énergie conféré par cette petite victoire. Logan joua avec ma main dans la sienne.

— Elle est froide, commenta-t-il simplement.

Je le regardai. Il savait que j'avais menti. Mais il ne dit rien de plus que ce constat. Je haussai une épaule indifférente. Il secoua la tête et prit mon autre main pour les recouvrir toutes deux des siennes. C'était agréable. Je souris. Il se pencha en avant, je fis de même, et nous nous embrassâmes avec une tendresse infinie. Il se détacha et plaça un baiser volatile sur mon front.

Le Prince et la PanthèreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant