Chapitre 22 : Je ne désire que toi

430 41 20
                                    

J'ouvris les yeux quand la lumière dehors se déposa sur mon visage. Mon regard fixe rencontra le plafond, puis je tournai la tête pour observer le paysage. On devait être au milieu de la matinée. J'avais oublié ce que c'était de dormir une bonne grosse nuit. On se sentait presque plus fatigué au réveil que la veille au moment de se coucher. Ou alors c'était les médicaments.

Je jetai un oeil à mon bras bandé. Je me sentis rougir en repensant à la dispute que j'avais occasionnée à cause de mon comportement ridicule. Quelle idiote j'avais été ! Qu'est-ce qui m'avait pris de voler Pirate - car c'en était un, et on ne plaisantait pas avec les bien royaux - et de m'enfuir dans les bois en pleine nuit sous la neige ? C'était la question que n'avait cessé de me poser l'Héritier, de plus en plus énervé par mon mutisme puis par mon caractère de chien. Parce que je ne lui avais pas donné la réponse, non. Je l'avais cachée au fond de mon coeur, et j'essayais de l'y enterrer chaque seconde un peu plus. J'avais été évasive, j'avais essayé de dévier le sujet, plaider l'épuisement pour qu'il me laisse en paix, mais rien ne l'avait fait, et il n'était parti qu'au bout de longues minutes qui m'avaient semblées durer des heures.

J'étais jalouse d'Angélique. Et c'était bien ce sentiment dévorant qui m'avait poussée à agir comme la pire des idiotes. J'étais jalouse de leurs sourires échangés comme des baisers, de leur proximité, de leurs discussions passionnées qui autrefois m'appartenaient, et de leurs regards partagés avec connivence, estime et bienveillance. Des regards qui avant m'étaient destinés, quand le prince était dans ses bonnes phases.

Je poussai un long soupir et me couvris le visage. J'aurais voulu me rendormir d'un sommeil qui aurait duré cent ans, au terme duquel mon prince charmant m'aurait réveillé...mais bon, comme, dans la vraie histoire, elle se faisait violer entretemps, il fallait faire attention à ce qu'on désirait. Un sommeil d'une semaine alors, le temps d'oublier le noeud pesant dans mes entrailles.

Malheureusement, un coup porté contre la porte mit fin à mon auto apitoiement. Je n'eus pas le temps de répondre que déjà la porte pivotait sur ses gonds. Par réflexe, je remontai la couverture sur ma poitrine seulement masquée d'un vieux tee-shirt, tout en me demandant à quoi ça servait de frapper à une porte si on n'attendait aucune réponse pour entrer. Je compris que j'avais bien fait quand je reconnus le visage fin et soucieux de l'Héritier. Mon coeur se gonfla, comme chaque fois que je le voyais, et je ne pus m'empêcher de le trouver magnifique. La veille, le prisme de la douleur et le filtre de la colère avaient obstrué ma vision, mais j'étais parfaitement lucide aujourd'hui. Un pli inquiet - ou agacé - déformait son visage uniforme mais n'entachait pas sa beauté, pas plus que les cernes qui soulignaient ses yeux de glace. Il passa une main dans ses cheveux décoiffés, indécis, la main encore sur la poignée de la porte. Je compris que s'il s'était invité de lui-même sur le pas de ma chambre, il ne suffirait que d'un mot de ma part pour qu'il s'en aille... ou pour qu'il reste. Je rompis le silence :

- Bonjour.

C'était l'invitation qu'il attendait. Il expira et l'ombre d'un sourire passa sur son beau visage fatigué. Il entra complètement et ferma la porte derrière lui.

- Bonjour. Comment vous sentez-vous?

C'était vrai, comment est-ce que je me sentais ? Je me redressai pour m'asseoir, réveillant des douleurs dans tout mon corps. Je grinçai des dents. Et remarquai, en m'adossant, que mon visiteur s'était précipité pour arranger mes oreillers. Je me raclai la gorge et ne put m'empêcher d'humer son discret parfum de menthe et d'automne.

- Comme... comme si une voiture m'avait roulé dessus, répondis-je enfin, moins pour répondre à sa question que pour tromper le trouble qui m'envahissait à chaque seconde où il restait aussi près. J'en avais perdu l'habitude, depuis Angélique. J'étais donc douloureusement consciente de sa présence ; chaque partie de mon corps semblait lui répondre et trouver écho en lui.

Le Prince et la PanthèreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant