Quatrième étape : prévoir un plan de secours au cas où je serais obligé de fuir. J'y réfléchis pendant à peu près une heure, puis le planifiai dans les détails. Ceci fait, je passai à l'étape numéro cinq. Je devais « préparer » la suite dans laquelle séjournerait Derek de Bajac, la numéro 8, au deuxième, donc. Je m'y rendis discrètement et crochetai la serrure après m'être assurée que le couloir était désert et sans caméra. Sur la commode près de la porte, je disposai un seau rempli de glace dans lequel barbotait une bouteille de champagne que j'avais « empruntée » aux cuisines, ainsi que deux verres. Il ne me fallut que quelques instants supplémentaires pour scotcher deux couteaux sous le lit en cas de besoin et pour planquer mon ordinateur sous une pile de linge. A cette heure de la journée les suites étaient déjà préparées alors je savais que personne n'y pointerait le bout de son nez pour le reste de la journée. Ceci fait, il était déjà plus de quatre heures. Autrement dit la soirée débuterait dans deux heures, et les premiers invités s'amèneraient donc vers dix-huit heures trente. J'allais pouvoir me reposer un peu en attendant.
C'est donc toute guillerette que je descendis les escaliers pour revenir au rez-de-chaussée. Je traversai le salon d'un pas rapide. Alors que je longeais les buanderies qui se trouvaient près des quartiers des serviteurs, et à l'opposé des cuisines (afin que l'odeur des aliments ne vienne pas s'imprégner sur les tissus qu'on lavait ici), je surpris une conversation loin d'être amicale, puisque l'un des deux interlocuteurs s'évertuait à engueuler sévèrement le second. Ils sortirent dans le couloir et je reconnus le prince, qui passait un savon à son serviteur personnel, Yahn, je crois, au sujet d'une chemise décolorée, qu'il tenait négligemment à bout de bras. Je levai les yeux au ciel ; il avait vraiment du temps à perdre. Ou un trop plein de colère à évacuer, qui sait.
— C'est inadmissible, vous entendez ? Inadmissible ? criait-il.
Je ralentis. A eux deux ils prenaient les trois quarts du couloir, aucune chance de passer sans les faire se pousser.
— Ça commence à bien faire ! continua-t-il, les poings crispés. Une erreur de plus à ajouter sur la montagne de vos erreurs ! Je commence à en avoir plus qu'assez ! Un serviteur personnel se doit d'être irréprochable, alors si vous commettez un faux pas de plus, vous serez renvoyé, est-ce que c'est bien clair ?
Whoah, il n'y allait pas de main morte. Le serviteur, perdant le peu de moyens qu'il avait, essaya platement de se justifier, ce qui énerva encore plus le prince, qui lui cria donc encore plus dessus. Ça devenait un peu gênant de rester là à écouter. Le prince, fulminant, s'approcha de son employé qui recula, légèrement terrorisé. Leur petit déplacement me libéra une fenêtre de sortie et je m'avançai pour passer. Grâce à ma poisse légendaire, mon mouvement ne passa pas inaperçu.
— Katarina ? s'étonna le prince en pivotant.
Je grimaçai.
— Oui, fis-je d'une petite voix. Désolée d'interrompre votre... charmante conversation. Je voudrais juste passer.
— Vous ne devriez pas être en train de vous reposer ?
Je haussai un sourcil.
— C'est ce que je fais, votre Altesse. J'effectue une petite balade réparatrice.
Ce fut à son tour de hausser un sourcil dubitatif. Je lui dédiai un regard de pure innocence. J'étais sûre qu'il devait en ce moment même apercevoir une petite auréole scintillante briller au-dessus de ma tête. Yahn fit un pas de côté en me détaillant curieusement et le prince le congédia d'un geste impatient en lui balançant sa chemise. Soulagé, Yahn ne perdit pas de temps pour s'éclipser, ravi qu'une nouvelle victime innocente accapare l'attention de son patron. Ce dernier me détailla pensivement.
— Finalement c'est une bonne chose que je vous ai croisé, décida-t-il. J'ai besoin de vous.
Je n'eus pas le temps de répondre. Il prit ma main et m'entraîna avec lui jusque dans ses appartements. Heureusement nous ne croisâmes personne, tous les serviteurs étant bien occupés avec la soirée de ce soir.
Nous arrivâmes dans la chambre et il me lâcha pour se poster devant moi, les poings sur les hanches. Il ne dit rien et j'oscillai doucement de la tête en pinçant les lèvres.
— Bon, sinon, pourquoi vous avez besoin de moi ?
Il poussa un profond soupir.
— Pour me choisir une tenue pour ce soir, vu que mon imbécile de serviteur a mal géré ma dernière lessive et a provoqué la décoloration de la chemise que je prévoyais de porter ce soir. Il commence à me sortir par les yeux, et son travail médiocre me pousse à bout.
— Oh, alors mon travail vous manque ? ironisai-je en lui faisant les yeux doux.
— Ce n'est pas ce que j'ai dit, sourit-il.
— Bien sûr, mais en attendant vous comptez sur moi plutôt que sur lui pour choisir vos fringues. Il ne pourrait pas s'en charger lui-même ? C'est son travail après tout.
Il croisa les bras.
— Certes, mais il n'a absolument aucun goût, c'est pire que moi et pourtant je mets la barre plutôt haut dans le manque de goût total.
— Noooon ??? blaguai-je. Alors vous avez un défaut ? C'est impossible, voyons, tout le monde sait que vous êtes parfait.
— Ha ha très drôle, rit-il. Sans rire, un jour j'ai passé plusieurs heures dans une chemise rose affublé d'une cravate violette avant de comprendre que ces deux couleurs n'allaient absolument pas ensembles. C'est pour ça que je préfère nettement que ce soit vous qui choisissiez ma tenue de ce soir. J'aimerais autant éviter de me ridiculiser.
— Attendez, attendez, on peut ralentir et revenir au moment où vous m'avouez que vous disposez d'une chemise rose et d'une cravate violette dans votre penderie ? le taquinai-je.
Il secoua la tête.
— Non, nous n'y reviendrons pas. Pourriez-vous me trouver de quoi m'habiller ce soir, oui ou non ?
— Bien sûr, à vos ordres, votre Altesse. Ravie de savoir que je vous ai manqué.
Je me dirigeai vers la penderie sous son rire narquois.
— Je n'ai pas dit ça.
— En tout cas vous l'avez sous-entendu, soulignai-je en commençant à fouiner dans ses fringues.
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Le Prince et la Panthère
RomanceLui, Aaron, se prépare à devenir roi d'un pays déchiré par des conflits de plus en plus violents. Le peuple se révolte, les rebelles se font de plus en plus nombreux et organisés. Aaron, coureur de jupons invétéré et arrogant, mais très bon combatta...